Pieds-noirs

photo de famille - une valise par personne

Comme moi, vous n’avez peut-être qu’une compréhension approximative de ce que sont les pieds-noirs, ces Français d’origine, nés en Algérie française avant d’être rapatriés en France au moment des événements. Eh bien la toute jeune réalisatrice Clara François nous fait toucher du doigt ce qu’ils sont, en se mettant à l'écoute de membres de sa famille, dans son documentaire Une valise par personne.

Écouter ces témoignages est une expérience émouvante, qui raconte des destins individuels plongés dans la tourmente de l’Histoire. Elle mêle des parfums d’épices aux odeurs de chairs brûlées dans les rues d'Alger. Souvenirs poignants d’un pays dont il a fallu fuir, pour rentrer en métropole où l'on vous accusait de manger le pain des Français.

Le départ d’Algérie nous a abîmés. Entre rires et larmes, réminiscences et oubli, ce film donne corps à cette génération chassée du paradis pour atterrir dans la grisaille, en périphérie de Rennes.

FILM

UNE VALISE PAR PERSONNE

de Clara François (2023 - 32’)

Ce film raconte l'histoire d'une famille de pieds-noirs marquée par deux grand tabous : la guerre d'Algérie et le suicide d'une des leurs. En tant que petite-fille de cette génération contrainte de quitter l'Algérie pour venir vivre en France métropolitaine, je m'interroge sur la manière dont cet événement a bouleversé leur vie. Jean-Marc et Jeanine, les deux derniers témoins de cette époque, mènent désormais leur vie en Bretagne, bien loin de leurs souvenirs. Pourtant, il y a dans leurs habitudes, dans leur manière de parler, de penser, de nombreux vestiges de leur jeunesse à Alger. Quels stigmates ont-ils conservé, qui font d'eux ce qu'ils sont aujourd'hui ? Quant au suicide de ma grand-mère, dont on évite soigneusement de parler, a-t-il un lien avec ce traumatisme ?

INTENTION

L'impact de l'exil

Jeanine parle

par Clara François

Ma famille paternelle est d'origine pieds-noirs. Avant même de réaliser ce que cela signifiait, je comprenais que ma grand-mère, mes grands-oncles et tantes étaient tous nés en Algérie. J'entendais parler de ce pays comme d'un paradis perdu, une terre ensoleillée où il faisait bon vivre. De temps à autre, la guerre était vaguement évoquée, sans s'attarder. Les événements restaient un sujet défendu, mes aïeux n'y font pas exception. Depuis que je m'intéresse au cinéma, à cette manière unique de raconter des histoires, j'ai envie de relater celle-ci. Néanmoins, il m'a fallu un certain temps pour réussir à considérer les origines de ma famille comme un sujet qui pourrait intéresser d'autres gens. Il fallait aussi dépasser la pudeur, accepter de dévoiler une part d'intimité. Quand je me suis rendu compte, en discutant autour de moi, que j'étais loin d'être la seule concernée par cette histoire et que notre génération n'avait aucune idée précise de ce qu'être pieds-noirs pouvait signifier, je me suis dit qu'il était temps de s'y pencher. D'une part pour libérer la parole au sein de ma propre famille, d'autre part parce que l'exil est un sujet universel et actuel : l'histoire d'un départ forcé, d'un déracinement, d'une reconstruction et d'une adaptation. Je trouve important que le cinéma puisse être un vecteur de transmission du savoir et un savoir unique, intime et individuel. Pour citer Chris Marker : Là où on voudrait nous faire croire que s’est forgée une mémoire collective, mille mémoires d’hommes qui promènent leur déchirure personnelle dans la grande déchirure de l’Histoire...


Il ne reste que deux pieds-noirs vivants dans ma famille : Jeanine, ma grande-tante, la veuve du premier frère de ma grand-mère, et Jean-Marc, mon grand-oncle, frère de ma grand-mère. Jeanine a 80 ans et vit désormais seule dans son appartement à Rennes. Ma grande-tante est une femme bavarde, qui ne se lasse pas de raconter les bons souvenirs de l’Algérie, dont elle est nostalgique. Jean-Marc, 70 ans, habite dans la périphérie rennaise avec sa compagne. Il entretient avec l'Algérie des rapports moins étroits et aborder ses souvenirs a été l'occasion de découvrir une version de l'histoire à travers des yeux plus jeunes. Il y a également une place pour les morts, spécialement ma grand- mère. Elle ne s’était jamais remise du départ d'Algérie et s’est donnée la mort à l'âge de 57 ans. J’ai voulu en faire un des personnages principaux et lever le voile sur qu'elle était et ce qu'a été sa vie.

J'ai choisi de tourner ce documentaire seule, derrière la caméra, sans m’exclure du champ sonore, pour être proche de mes personnages. C'est pour moi une chance et une force d'avoir une relation sincère avec eux, et un véritable défi de réussir à introduire le spectateur dans cette intimité. J’ai filmé quelques séquences du quotidien de Jeanine et de Jean-Marc, pour les caractériser par leur manière de vivre, leurs habitudes, la façon dont ils bougent, parlent, interagissent avec le monde qui les entoure. Les photographies ont aussi une place importante. Quels sont les souvenirs associés à ces instantanés ? C'est également grâce aux photographies que je peux aborder la vie de ma grand-mère. J’ai aussi voulu filmer des séquences de cuisine, tant il est évident que les mémoires olfactives et gustatives sont sensibles.

Pour moi, la question qui traverse ce film est celle de la résilience, de la reconstruction face à un événement traumatique. Lorsque je regarde ma famille aujourd'hui, je m'interroge souvent sur ce qui l'a façonnée : pourquoi ont-ils tous l'air aussi soudés malgré leurs incessantes prises de becs ? Pourquoi se sont-ils tous retrouvés à vivre dans un rayon de trente kilomètres ? Pourquoi, chaque repas du dimanche midi, fallait-il absolument être tous ensemble ?

BIOGRAPHIE

Clara François

Clara François portrait réalisatrice

Clara François est née à Rennes en 1996, et y passe toute sa jeunesse jusqu'à l'obtention de son bac scientifique option cinéma au lycée de Bréquigny. C’est au cours de ces trois ans qu’elle développe un vif intérêt pour la création cinématographique et les possibilités narratives qu'elle peut offrir. Sans vraiment savoir comment en faire un métier, elle se lance dans une formation en montage et post-production au BTS Audiovisuel de Montaigu. Le montage lui semble alors une belle manière de raconter des histoires et de travailler à la construction des récits filmiques. Lors de son stage de deuxième année à la Filière Production de France 3 Rennes, elle accompagne une monteuse et un réalisateur sur un projet de documentaire. Elle a déjà une grande curiosité pour ce genre, très riche tant dans la variété des sujets possibles que dans la forme qu'ils pouvaient prendre. Elle décide donc de tenter le concours de l'INSAS (Institut national supérieur des arts du spectacle) à Bruxelles, en option réalisation. Pendant trois ans, elle y réalise plusieurs courts métrages et documentaires étudiants, dont Marie-Annie, le portrait d'une octogénaire finistérienne qui réapprend à vivre seule à la suite de la mort de son mari. Puis elle se spécialise dans le documentaire en suivant le cursus Réalisation et Création du master de l'université Paris 8 à Saint-Denis. C’est là qu’à l’aide de l’équipe enseignante elle écrit, tourne et monte son premier documentaire long format : Une valise par personne.

REVUE DU WEB

Mémoire familiale, mémoire collective

ARTE >>> L’Algérie a fêté en 2022 les 60 ans de son indépendance. 1962 marque aussi le rapatriement dans l’urgence de près d’un million de pieds-noirs, ces Français vivant parfois depuis plusieurs générations en Algérie et dont certains n’avaient jamais foulé le sol français. Soixante ans après, le traumatisme est toujours à vif chez les plus anciens. Reportage auprès de trois générations de femmes et d'hommes.

BRETONS >>> Pourquoi voir absolument «Une valise par personne», le documentaire de Clara François sur l’Algérie.

COMMENTAIRES

  • 4 décembre 2024 13:37 - Smadja Katty

    Beau reportage , mes parents surtout ma mère a vécu cela , malheureusement je n’ai pas questionner ma mère (décédé aussi à 52 ans )suicide aussi .

  • 1 décembre 2024 18:00 - TRUCHI C

    Merci cet émouvant documentaire.

  • 1 décembre 2024 17:39 - Floch-Nigués

    Merci pour ce documentaire
    Je suis arrivée en Bretagne en 1962 pied noir de Oran
    Et j'habite près de Rennes

  • 26 novembre 2024 14:49 - KuB tv

    Bonjour Anne-Marie, pour voir le documentaire, il suffit de cliquer sur le bouton "lecture" un peu plus haut sur la page. Belle découverte à vous !

  • 26 novembre 2024 14:40 - Flochnigues Anne Marie

    Où voir ce documentaire
    Je suis pied-noir aussi arrivée en 1962 j'avais 11 ans partir de Oran
    J'habite à Becherel

  • 26 novembre 2024 07:27 - jcg

    très beau documentaire. merci de continuer à faire vivre ce passé. Nous sommes nombreux à être leurs descendants.
    j'ai 56 ans et j'ai eu la chance de découvrir Bab el oued avec ma mère et ma tante.

  • 25 novembre 2024 19:22 - Bonnet

    Très interessant ce film , fille de français d Algerie je voudrais juste relativiser le point qui suit : comme indiqué oui il y avait des niveaux de “classe”“ bien différents entre les groupes suivant leur origine mais cette difference existait aussi entre européens et métropolitains. En sens inverse là le métropolitain était la upper classe dans ce pays ! De plus savez vous par exemple que le niveau de vie moyen des français était inférieur en Algerie/ metropole , que les droits aux allocations familiales par exemple étaient supérieurs en metropole /Algerie pour des français ! Tout cela pour dire que tout doit être recontextualiser! Je precise que mes parents et leur famille étaient très pauvres en Algerie. Comme la majorité ils n avaient jamais mis les pieds en metropole sauf pour la mobilisation en tant que soldat ! Ils ont toujours estimé qu in fine leur arrivée en métropole fut pour eux et leur famille une immense chance et opportunité ! Le Sens du travail , les valeurs inculquées nous ont permis une belle integration et une belle réussite en France , merci à mes parents et à la France dans son ensemble !

  • 25 novembre 2024 16:36 - Armand ARDID

    Bonjour Madame
    Je vous contact car hier soir vous m'avez fait pleurer à l'âge de 74 ans.
    Je suis né à Sidi bel abbes et j'ai vu à travers mon père membre du parti communiste Algérien et j'ai vu les atrocités de notre colonialisme et comment le seul maire communiste de l'Algérie Mr Justrabeau a été condamné à 2 ans de prison par le ministre des Affaires algérienne un certain Mr Francois Mitterand de l’époque. Voilà Madame et pour moi cette histoire est une richesse et qui malgré mon âge me pousse a toujours à combattre les atrocités du colonialisme et du racisme.

  • 29 octobre 2024 10:01 - Élisabeth Dufresne

    Belle demarche emouvante avec un regard different a chaque generation. Allez aussi en Algérie interroger les algériens.
    Un dialogue nouveau a créer.

  • 11 janvier 2024 10:26 - Denis Poulain

    Bravo pour ce beau film! Éclairant sur l’histoire et le vécu de ces familles jusqu’ aujourd’hui. Ressitués dans l’histoire de la France en Algérie, bien traduite dans les tous derniers mots…Un film méritant d’être largement diffusé et connu. Je vais également, le transmettre. Des pistes là ouvertes, pour l’écriture, la caméra et le micro. Bonne suite, alors! Denis (ami d’Anne-Marie)

  • 14 décembre 2023 16:27 - Madeleine

    Félicitations pour ce beau travail de recherche sur une période un peu "oubliee" de nos programmes d histoire!! Très touchant quand le récit passe par les jeunes générations.je diffuse largement amitié madeleine (amie d Anne marie)

CRÉDITS

avec Jeanine Arbona, Jean-Marc Arbona et Thierry François

réalisation Clara François
image, son, montage Clara François

post-production sonore Étienne André

Artistes cités sur cette page

Clara François portrait réalisatrice

Clara François

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