Terre d'écrivains

26/09/2025
Il y a vingt ans, le réalisateur Michel Dupuy se lançait dans la production d'une vingtaine de portraits d'écrivains de Bretagne et des Pays de la Loire. Certains d'entre eux s'en sont allés depuis, comme Michel Le Bris en 2021. Dès lors ces entretiens deviennent de précieuses archives, d'autant qu'ils avaient pour but de relier les auteurs au territoire, à mettre à jour le lien entre une œuvre et son milieu d'origine : social, géographique, historique. Voici donc pour commencer Erik Orsenna et Hervé Hamon, tous deux romanciers.
LES ROMANCIERS
LES ROMANCIERS
L’objet de ces courts portraits d’écrivains filmés est de donner au lecteur les clés du bureau, sanctuaire où se fabriquent les livres. Pour rendre accessibles les sources, la complicité de chaque écrivain a été essentielle ; elle nous permet dans un premier temps de passer par la fenêtre de l’enfance, des premiers émois dévoilés, puis d’entrer dans l’atelier où vont se construire les œuvres. Nous souhaitons ainsi mettre le futur lecteur dans la confidence de cette étrange alchimie qu’est la création littéraire. Les films, dans ce décor, invitent le spectateur à partager avec l’auteur certains rituels, des émotions, des couleurs… Comme cela peut arriver avec un intime, ils vont parfois au-delà, ils empruntent des sentiers buissonniers vers le cœur de l’œuvre.
Par ailleurs, la diversité des paysages et la richesse de sa culture fait de la Bretagne une terre romanesque par excellence. Toutefois, la Bretagne, selon les auteurs, peut être tempétueuse, étale, se lire entre les vagues ou entre les lignes, avec des récifs, des pirates, des sirènes…C’est par conséquent avec le doux plaisir de surfer sur les mots, que la mer s’est imposée comme thème principal pour la collection Terre d’écrivains en Bretagne.
Erik Orsenna
Erik Orsenna
L’école de Dumas… On n’arrive à rien seul, on est nourri des autres, tout dans la vie doit être fait à plusieurs. Présenter l’œuvre d’Erik n’est pas simple et cela pour une bonne raison : c’est qu’elle n’est pas une mais plusieurs. C’est une œuvre qui marie les divers, le multiple et par conséquent les solidarités. Erik Orsenna est un pasteur du différent, de l’inconnu. Le lieu d’écriture où prêche cet apôtre de la liturgie des découvreurs, ni véritable bureau, ni véritable laboratoire s’apparente plutôt à un cabinet de curiosités. Les divers bâtiments qui occupent l’espace où séjourne l’académicien sont du même bois que les bateaux qui naviguent dans ses rêves. Chacun a sa fonction propre, le bureau fait partie de l’archipel. Dans cette île, l’auteur de l’Exposition coloniale (prix Goncourt 1988) explore au gré des marées ses innombrables univers. De quelque côté que l’on dérive, l’eau fait partie des univers d’Erik et se prête à toutes les associations. Ainsi, certaines ouvertures sont des hublots qui donnent sur la mer… ou les nuages. Car comme aime à le rappeler cet amoureux de la diversité, curieux de tout, c’est par le mouvement que permet l’eau que la vie naît… Autrement on peut mourir à côté d’une molécule qui est infiniment nécessaire s’il n’y a pas de lien, de main pour la prendre... Bien sûr, la métaphore a toute sa place dans le cabinet de curiosités… Le Général Orsenna y règne comme Noé qui affronte les tempêtes. Sauveur d’humanité sous toutes ses formes, artisan de cette odyssée, l’auteur de L’avenir de l’eau (2008) et de La fabrique des mots (2013) se voit constructeur de bateau : Parce que quand j’ai bien réussi mon coup, c’est-à-dire que j’ai bien travaillé sur ma structure de roman, que mon histoire se tient, je lance l’affaire. À ce moment-là le bateau, il a tendance à naviguer tout seul.
La clé de ce portrait : Un pour tous, tous pour un.
Hervé Hamon
Hervé Hamon
Ici en Bretagne, on peut marcher au fond de la mer. La mer, une clé voyageuse pour l'auteur d’Éloge de la marée (2018) qui dit ici sa passion pour celle qui fait le tour du monde et sa volonté de vivre à son bord. Le rivage et le port sont l’un et l’autre les passerelles qui mènent, via l’enfance et la philosophie, au bureau de l’auteur de Tant qu’il y aura des profs (1984), Besoin de mer (1997) et Dictionnaire amoureux des îles (2020). La mer est le véritable bureau d’Hervé Hamon, en transparence, sous ses yeux et les nôtres. Dans le bureau, la mer est partout, horizons, aventures, actualités… ce qu’Anatole Le Braz appelle la vie qui va et vient rappelle Hervé Hamon. Pour l’écrivain, la mer a ce pouvoir magique de rendre le quotidien spectaculaire. Les sauveteurs des mers sont des héros mais aussi des gens simples, la tempête par force 12 avec des creux de 14 mètres n’est pas qu’un trou noir, elle peut être lumière, elle n’empêche pas la vie de continuer et de se lever le matin comme si de rien n’était…Les hommes sont capables de ça souligne l’écrivain. Le professeur de philosophie ne s’est pas noyé dans les fonds marins, bien au contraire, quelque part il y est né, et ne cesse de s’y promener… Comme il le dit joliment, je n’ai pas choisi la mer et elle ne m’a pas choisi. J’ai la mer comme certains amis ont la foi : par foudre innocente, étrangère à la raison et au calcul. Hervé Hamon, un enfant de la mer…
La clé de ce portrait : Le vent du plaisir.
Une histoire de clés
Une histoire de clés

par Michel Dupuy
La collection Terre d’écrivains propose un voyage dans ce qui nourrit les œuvres des vingt écrivains dont j’ai choisi de faire le portrait filmé. Elle montre comment s’inscrivent ces œuvres dans un temps et dans un espace donné, en l’occurrence, ici, en Bretagne et dans les Pays de Loire. Ces entretiens avec les auteurs ont pour fonction de visiter l’environnement familial, social, géographique dans lesquels leurs œuvres s’enracinent et de mettre à la disposition du lecteur les clés du sanctuaire où se fabriquent et se dévoilent certaines de leurs œuvres.
Ces clés nous ouvrent quelques secrets, voire quelques portes vers le cœur de l’œuvre.
Plus encore, avec la complicité de l’auteur, nous invitons le lecteur à passer par la fenêtre de l’enfance, pour rendre accessible une proximité qui fait sens dans le parcours romancé de l’œuvre, ses racines. Nous souhaitons ainsi mettre le lecteur dans la confidence de cette étrange alchimie qu’est la création.
Transparences, reflets ou miroirs, ces premiers émois rendus visibles, sont une fragile frontière avec l’intérieur introspectif de la fabrique.
Outre partager certaines situations, rituels, émotions, couleurs dans lesquels tout lecteur, qu’il le veuille ou non, est à priori censé devenir un intime voire un confident.
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