Terre d'écrivains

Michel Morht

Il y a vingt ans, le réalisateur Michel Dupuy se lançait dans la production d'une vingtaine de portraits d'écrivains de Bretagne et des Pays de la Loire. Certains d'entre eux s'en sont allés depuis, comme Michel Le Bris en 2021. Dès lors ces entretiens deviennent de précieuses archives, d'autant qu'ils avaient pour but de relier les auteurs au territoire, de mettre au jour le lien entre une œuvre et son milieu d'origine : social, géographique, historique. Voici donc Michel Morht, Philippe Le Guillou, Marie Le Drian, Ricardo Monserrat, Erik Orsenna et Hervé Hamon, tous romanciers.

SÉRIE TERRE D’ÉCRIVAINS

LES ROMANCIERS

L’objet de ces courts portraits d’écrivains filmés est de donner au lecteur les clés du bureau, sanctuaire où se fabriquent les livres. Pour rendre accessibles les sources, la complicité de chaque écrivain a été essentielle ; elle nous permet dans un premier temps de passer par la fenêtre de l’enfance, des premiers émois dévoilés, puis d’entrer dans l’atelier où vont se construire les œuvres. Nous souhaitons ainsi mettre le futur lecteur dans la confidence de cette étrange alchimie qu’est la création littéraire. Les films, dans ce décor, invitent le spectateur à partager avec l’auteur certains rituels, des émotions, des couleurs… Comme cela peut arriver avec un intime, ils vont parfois au-delà, ils empruntent des sentiers buissonniers vers le cœur de l’œuvre.
Par ailleurs, la diversité des paysages et la richesse de sa culture fait de la Bretagne une terre romanesque par excellence. Toutefois, la Bretagne, selon les auteurs, peut être tempétueuse, étale, se lire entre les vagues ou entre les lignes, avec des récifs, des pirates, des sirènes… C’est par conséquent avec le doux plaisir de surfer sur les mots que la mer s’est imposée comme thème principal pour la collection Terre d’écrivains en Bretagne.

L’archange et le démon

PHILIPPE LE GUILLOU

Une grande toile monochrome occupe, tel un vitrail, tout le mur du bureau de Philippe Le Guillou.
La peinture, à dominante verte, est obscure, inquiétante aussi… Sur la toile, allégoriques et sauvages, les arbres y sont plus taillés que peints. Les forêts (de Brocéliande et d’ailleurs…) sont des lieux mystérieux qui abritent des coins ombrés, où l’auteur aime à se perdre, et un faux désordre qui le fascine. Philippe Le Guillou vit dans un univers hétéroclite, un fouillis ordonné ou cohabitent des peintures de Yves Doaré, un buffet breton, un crâne humain, une épée, le heaume d’une armure ou des photos de Léni Riefenstahl. Selon Philippe Le Guillou, un écrivain c’est une origine, un ancrage, un lieu, un paysage. Il y a chez l’auteur de l’Inventaire du vitrail, Le Passage de l’Aulne (Prix Médicis 1997) et du Dieu noir, une volonté de préserver les racines. Pour cela, les thèmes qu’il choisit se prêtent souvent, dans une écriture lyrique, à une sorte de sublimation d’un autre âge faisant référence à la chevalerie, où romanesque et morbidité cohabitent.
Les romans, comme le bureau de Philippe Le Guillou, sont une sorte de prolongement du grenier de la maison maternelle où il allait enfant se réfugier pour mettre en scène un monde fantastique voire épique. Ces univers sont une composante indispensable de l’œuvre de l’écrivain qui se constitue selon lui à partir des enseignements des maîtres.

La clé de ce portrait : La forêt cathédrale

Le temps désinvolte

MICHEL MORHT

Tradition, amitié et aventure…

Michel Mohrt de l’Académie française porte fièrement ses 87 ans. Je sens que la vieillesse me rattrape doucement, dit-il. Il poursuit en souriant : Ma grand-mère me parlait de la Révolution, sa mère, mon arrière-grand-mère donc, qui l’avait connue la lui avait racontée, on vit très vieux dans la famille Mohrt... Malicieux, il conclut : La Révolution ? C’était hier… seulement trois générations. L’Académicien a un rapport au temps dont il se sert pour expliquer (justifier ?) certains choix politiques. Élevé dans une famille de tradition maurrassienne, certains sujets dont se sont inspirés l’écrivain pour ses livres, Le Répit, Les Intellectuels devant la défaite, La Guerre civile, et La Campagne d’Italie éclairent son attachement à des valeurs traditionnelles et sont traduits dans une écriture délicieusement désuète. De fait, Michel Mohrt affiche une certaine désinvolture avec le temps mais aussi dans un parcours personnel contrasté. Écrivain solitaire et aventureux, traditionaliste et d’avant-garde, farouchement parisien mais revenant sans cesse au paysage originel (la Bretagne, Morlaix), il est à la fois enraciné et nomade.

Homme aux amitiés fidèles même lorsqu’il n’en partage pas les passions ou les engagements (Henri de Montherlant, Pierre Drieu la Rochelle…), l’écrivain a traversé le siècle, connu, édité et fait connaître en France William Faulkner, William Styron, Jack Kerouac…

Il préfère les cavaliers solitaires aux mouvements d’idées, ses romans mettent en scène des femmes aimées et des hommes seuls face à l’histoire. Son œuvre joue avec le temps, alterne ordre militaire et libertinage.

Son bureau constitue un ensemble hétéroclite où les lourdes tentures de style Empire côtoient une télévision, une grande bibliothèque et ses aquarelles, une nouvelle passion. Le décor privilégie les livres qui sont dispersés un peu partout dans la pièce jusque sur le canapé. Il aime séjourner en Bretagne, ou plus précisément à Morlaix, juste en face de l’Amérique… là où son père lui a appris à nager, là où lui-même amène ses petits enfants se baigner. La matrice, la maison familiale, où tout se fonde et où tout recommence. Un petit bout de terre ouvert sur le grand large : la Bretagne, la mer, la guerre, l’Amérique, avant et après. Là où le temps n’a pas de prise…
La clé de ce portrait : La Bretagne, juste en face de l’Amérique.

Les petits riens

MARIE LE DRIAN

Le bureau de Marie Le Drian n’est pas vraiment un bureau. Un petit peu chambre, un petit peu salle de bain aussi. Un petit peu tout, tel un puzzle, où dans les éléments éparpillés se trouve beaucoup de… Marie. C’est voulu.
Marie Le Drian tient à ce désordre apparent qui crée du relief. C’est en le chevauchant qu’elle avance. Chez Marie, ce sont les mots qui sont là, pour donner à voir, pour remplir les vides, ordonner l’espace. Cet environnement sens dessus-dessous est offert sans préambule ; il crée chez le visiteur une sorte de gêne, celle d’être entré par effraction au cœur d’une intimité assumée. Dans le film, avec ses mots, Marie se livre sans réserve, ne cache rien de sa vulnérabilité. Lorsque nous évoquons le thème majeur sur lequel s’articule son œuvre, Marie choisit Le Dedans et le Dehors. Le décor du bureau correspond exactement à cette proposition, Marie se présente nue… le dedans immédiatement accessible, sans intermédiaire. J’ai toujours aimé la mer, car je peux y voir la tempête hors de moi dit-elle. Se côtoient alors douceur de la voix, du visage et violence des mots… une belle âme se devine. Sur l’un des murs du bureau au milieu de grandes peintures la représentant, une petite photo en noir et blanc attire l’attention. Marie y est en train de lire assise en tailleur. Elle est ailleurs, à l’intérieur ou plutôt indifférente à ce qui l’entoure. Le visage est baissé, caché par de longs cheveux. La photo contraste fortement avec les peintures colorées qui l’entourent. Pourtant les illustrations communiquent ensemble. Elles montrent, malgré leur antagonisme, l’immense tempête de sensations qui habitent l’auteure dans le tumulte de petits riens.
La clé de ce portrait : Répétitions de mots, de gestes, de regards.

Patchwork ou la théorie des morceaux

RICARDO MONTSERRAT

Le bureau de Ricardo Montserrat est, à l’image de ses livres, un espace recomposé d’âmes et d’objets sauvés. Un bureau ou le chirurgien Montserrat opère. On y assiste à la reconstitution savante de bouts de voyages, de bouts de mots, de bouts d’histoire, de bouts de temps, de bouts de vies, de bouts de bouts, et cela jusqu’à la fenêtre, patchwork fait de bouts de lumières sur la nuit de Saint-Malo. Les murs blancs et froids de la salle d’opération agissent, eux, comme les révélateurs d’une mosaïque d’éclats lumineux !
Le bureau de l’écrivain Ricardo Montserrat est au sens propre le lieu où s’opèrent et se reconstituent sur les pages blanches des paroles de condamnés à mort… Celles des réfugiés espagnols (dont son père était), pendant la guerre de 1940-45, celles des Chiliens sous Pinochet pour lesquels Ricardo anime des séminaires de théâtre, mais aussi les paroles de chômeurs, morts socialement, avec lesquels il construit des spectacles et écrit des livres. Bouts de paroles condamnées que le travail de l’écrivain contribue à faire revivre. Le travail de ce résistant professionnel peut se lire ainsi, un travail d’accoucheur de paroles que l’on considérait éteintes. En faisant se rencontrer ces personnes en difficulté dans ses ateliers d’écriture, il favorise l’émergence d’une création originale, les illumine. Ces destins cassés, ces espoirs brisés, souvent sous quelques obscures raisons d’états, l’écrivain, tel un mosaïste, les rassemble et les assemble dans le collectif, afin de les rend audibles, visibles et vivants.
La clé de ce portrait : Bout à bout, les ateliers d’écriture.

La grammaire des archipels

ERIK ORSENNA

L’école de Dumas… On n’arrive à rien seul, on est nourri des autres, tout dans la vie doit être fait à plusieurs. Présenter l’œuvre d’Erik n’est pas simple et cela pour une bonne raison : c’est qu’elle n’est pas une mais plusieurs. C’est une œuvre qui marie les divers, le multiple et par conséquent les solidarités. Erik Orsenna est un pasteur du différent, de l’inconnu. Le lieu d’écriture où prêche cet apôtre de la liturgie des découvreurs, ni véritable bureau, ni véritable laboratoire s’apparente plutôt à un cabinet de curiosités. Les divers bâtiments qui occupent l’espace où séjourne l’académicien sont du même bois que les bateaux qui naviguent dans ses rêves. Chacun a sa fonction propre, le bureau fait partie de l’archipel. Dans cette île, l’auteur de l’Exposition coloniale (prix Goncourt 1988) explore au gré des marées ses innombrables univers. De quelque côté que l’on dérive, l’eau fait partie des univers d’Erik et se prête à toutes les associations. Ainsi, certaines ouvertures sont des hublots qui donnent sur la mer… ou les nuages. Car comme aime à le rappeler cet amoureux de la diversité, curieux de tout, c’est par le mouvement que permet l’eau que la vie naît… Autrement on peut mourir à côté d’une molécule qui est infiniment nécessaire s’il n’y a pas de lien, de main pour la prendre... Bien sûr, la métaphore a toute sa place dans le cabinet de curiosités… Le Général Orsenna y règne comme Noé qui affronte les tempêtes. Sauveur d’humanité sous toutes ses formes, artisan de cette odyssée, l’auteur de L’Avenir de l’eau (2008) et de La Fabrique des mots (2013) se voit constructeur de bateau : Parce que quand j’ai bien réussi mon coup, c’est-à-dire que j’ai bien travaillé sur ma structure de roman, que mon histoire se tient, je lance l’affaire. À ce moment-là le bateau, il a tendance à naviguer tout seul.
La clé de ce portrait : Un pour tous, tous pour un.

Marcher au fond de la mer

HERVÉ HAMON

Ici en Bretagne, on peut marcher au fond de la mer. La mer, une clé voyageuse pour l'auteur d’Éloge de la marée (2018) qui dit ici sa passion pour celle qui fait le tour du monde et sa volonté de vivre à son bord. Le rivage et le port sont l’un et l’autre les passerelles qui mènent, via l’enfance et la philosophie, au bureau de l’auteur de Tant qu’il y aura des profs (1984), Besoin de mer (1997) et Dictionnaire amoureux des îles (2020). La mer est le véritable bureau d’Hervé Hamon, en transparence, sous ses yeux et les nôtres. Dans le bureau, la mer est partout, horizons, aventures, actualités… ce qu’Anatole Le Braz appelle la vie qui va et vient rappelle Hervé Hamon. Pour l’écrivain, la mer a ce pouvoir magique de rendre le quotidien spectaculaire. Les sauveteurs des mers sont des héros mais aussi des gens simples, la tempête par force 12 avec des creux de 14 mètres n’est pas qu’un trou noir, elle peut être lumière, elle n’empêche pas la vie de continuer et de se lever le matin comme si de rien n’était…Les hommes sont capables de ça souligne l’écrivain. Le professeur de philosophie ne s’est pas noyé dans les fonds marins, bien au contraire, quelque part il y est né, et ne cesse de s’y promener… Comme il le dit joliment, je n’ai pas choisi la mer et elle ne m’a pas choisi. J’ai la mer comme certains amis ont la foi : par foudre innocente, étrangère à la raison et au calcul. Hervé Hamon, un enfant de la mer…
La clé de ce portrait : Le vent du plaisir.

INTENTION

Une histoire de clés

Portrait Michel Dupuy

par Michel Dupuy

La collection Terre d’écrivains propose un voyage dans ce qui nourrit les œuvres des vingt écrivains dont j’ai choisi de faire le portrait filmé. Elle montre comment s’inscrivent ces œuvres dans un temps et dans un espace donné, en l’occurrence, ici, en Bretagne et dans les Pays de la Loire. Ces entretiens avec les auteurs ont pour fonction de visiter l’environnement familial, social, géographique dans lesquels leurs œuvres s’enracinent et de mettre à la disposition du lecteur les clés du sanctuaire où se fabriquent et se dévoilent certaines de leurs œuvres.

Ces clés nous ouvrent quelques secrets, voire quelques portes vers le cœur de l’œuvre.

Plus encore, avec la complicité de l’auteur, nous invitons le lecteur à passer par la fenêtre de l’enfance, pour rendre accessible une proximité qui fait sens dans le parcours romancé de l’œuvre, ses racines. Nous souhaitons ainsi mettre le lecteur dans la confidence de cette étrange alchimie qu’est la création.

Transparences, reflets ou miroirs, ces premiers émois rendus visibles sont une fragile frontière avec l’intérieur introspectif de la fabrique.

Outre partager certaines situations, rituels, émotions, couleurs dans lesquels tout lecteur, qu’il le veuille ou non, est a priori censé devenir un intime voire un confident.

FILM

MICHEL LE BRIS - ICI ET AILLEURS

de Michel Dupuy (2002 - 13’)

Auteur de La porte d’or, Les flibustiers de la sonore, Quand la Californie était française... Né en 1944 à Plougasnou (Finistère), Michel Le Bris est aussi le créateur du festival Étonnants Voyageurs. Il y a l’imaginaire et il y a la raison. L’un est un inconnu qui peut vous dévorer, l’autre est la mise en œuvre de ces ténèbres. Il nous accompagne sur les rives de cette enfance, entre horizons et racines, qui sont la source de sa philosophie.
>>> un film produit par Les films du moment

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    Portrait Michel Dupuy

    Michel Dupuy

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