Paris est une fête

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Il aura fallu cinq ans de travail à Grouazel et Locard pour faire leur Révolution. Pas celle des manuels d'histoire qui nous emmerde avec sa litanie de dates, non. Celle de la vie de héros ordinaires, comme dans une série télévisée. Révolution, c'est notre The Wire à nous, les Français. Comme dans la série de David Simon, on comprend une époque, ses élans et ses révoltes, à travers le parcours de personnages, et notamment celui d'un Breton, arrivé de Quimper, Abel de Kervélégan, qui découvre un Paris en ébullition à travers ses larmes.

CHRONIQUE

Révolution, sans Robespierre ni Danton

par Isabelle Nivet

Abel de Kervélégan, le héros de Révolution, est un cœur d'artichaut brisé par le dédain de la femme qui a déçu ses transports, et lui écrit des lettres désespérées, nous rappelant que même dans les temps les plus graves, rien n'est plus important qu'un chagrin d'amour. Dans Révolution, ce sont les gens ordinaires qui font l'histoire, pas les figures de proue : Abel se fout de la philosophie, n'est pas un esprit éclairé, il a juste envie de s'éclater un peu à Paris, et d'oublier son blues pendant ce séjour chez son frère. Dans le public de l'Assemblée nationale, un lendemain de cuite monumentale, ce ne sont pas les discours qui l'intéressent, mais la question de savoir si l'on y fait beaucoup de rencontres galantes. Dans les cafés de Paris, ce ne sont pas les complots politiques s'y tramant qui l'excitent, mais les nouveaux alcools, le rhum antillais, les jolies filles et la déco branchée de ces nouveaux lieux à la mode, exactement comme aujourd'hui, lorsque nous allons à Berlin, Londres ou Barcelone. Pour Younn Locard, que nous avons rencontré (Locard et Grouazel sont lorientais) : Quand un évènement commence, on ne sait pas où ça va mener. On a essayé de montrer la tramer historique telle que les gens pouvaient la comprendre sur le moment. L'idée c'était de mettre en viande le contexte pour pouvoir parler de son côté universel.


Abel nous rappelle les discours d'aujourd'hui, par sa prudence et sa peur du changement : ils s'imaginent le plus sérieusement du monde pouvoir promulguer le bonheur ! Et le pire, c'est qu'ils ont contaminé tout le monde avec leurs conneries. Je comprends maintenant pourquoi mes paysans de Saint-Yvi se prennent à jouer les ministres. Sérieusement... Est-ce que je donne monde avis, moi ? Et lorsque son interlocuteur lui demande : Vous trouvez normal qu'une bonne naissance soit l'unique mérite de la plupart des aristocrates ? Un mérite qui vous donne tous les droits et dans les faits aucun devoir ? Vous ne pensez pas que ce scandale doive cesser ? Abel répond : Si... Mais c'est la manières qui m'énerve. Ils ne sont pas en train de changer les choses, ils font juste... chier. Et ils sont parfaitement irresponsables. Des dialogues vivants, auxquels on s'identifie complètement : On les a beaucoup travaillés : on les disait, on les jouait. On a choisi de mélanger les langages de l'époque et un argot plus contemporain, de les faire parler comme nous.

Dans Révolution pas de noms célèbres, ni Robespierre ni Danton : ce sont les anonymes qui font l'histoire... Pour Younn, si on devait prendre un référence ce serait plutôt Treme, toujours de David Simon : Comme dans la série, on a créé beaucoup de personnages dans toutes les couches de la société. Inventé certains, repris d'autres, historiques ou contemporains, ce qui donne un récit choral complexe et tentaculaire. On a inventé les histoires personnelles de chacun : au début, elles sont en arrière-plan, et au fil du temps elles prennent plus d'importance, pour qu'on se demande : qu'est-ce qui va leur arriver ? Comme dans un série.
Et comme pour Joël Pommerat, dont le formidable spectacle Ça ira raconte la Révolution à travers les paroles des députés de l'Assemblée, Révolutions Rend cette période de l'histoire excessivement réelle, par un dessin cinématographique et foisonnant : on voulait épuiser tout ce que nous offre la bande dessinée, dans les dessins d'architecture et les scènes d'émeutes : ça ne nous coûte rien en figurants ! Cette forme ultra visuelle de travellings, de foules, de masses, de gros plan, nous fait alors le même effet qu'une série et produit l'addiction. On tourne les pages sans pouvoir s'arrêter, et à la 327è, on a envie que d'une chose, continuer. Deux autres tomes sont à venir, qu'on attend aussi impatiemment que Game of thrones...

>>> une bande dessinée éditée chez Actes Sud

CRÉATION

Rendre sa visibilité au peuple

Carnet de travail - bd révolution - Grouazel et Locard
Carnets de travail - plus en cliquant sur l'image !

par Pierre Serna

Vous croyiez connaître l’année 1789… Tout l’art de Grouazel et Locard est de la réinventer, avec justesse, authenticité, avec persuasion. Ils ne sont pas historiens, mais ils reconstituent le réel. Ils rendent probable tout leur travail. Deux cent trente ans après les faits, ils font revivre ces milliers de simples gens qui sont la chair et le sang de l’histoire comme au premier jour, avec leur imagination aussi, avec l’aide de la fiction sans doute, mais toujours au service du possible, du véridique. À leur façon ils contribuent à répondre, sans clore l’interrogation, à la plus difficile des questions que se posent les historiens du XVIIIe siècle : mais comment naissent les révolutions ?

Les auteurs prennent le temps de dessiner, de faire parler, de montrer l’action, rendant à ce peuple sa visibilité. (...) Il en ressort, non pas la description du peuple, mais l’intimité avec des peuples, car, là encore, une histoire intéressante est une histoire complexe, non réductrice, donnant à voir l’éclatement du réel, la subjectivité des acteurs pris dans l’action dont le récit aplatit les émotions et le vécu de chacun.


Ici la prouesse, et c’en est une, consiste à montrer LES peuples et leurs Révolutions qui finissent par converger vers LA Révolution, ce qui révèle une intuition qui s’approche sûrement de ce qu’a été cette période extrêmement confuse entre le mois de mai et le mois d’octobre 1789.

©Postface de Révolution t.1 - Liberté
ACTES SUD - l'AN 2

BIOGRAPHIES

GROUAZEL & LOCARD

Florent Grouazel et Younn Locard

Né à Lorient en 1987, Florent Grouazel est l’auteur de Les Mauvaises habitudes (L’Employé du Moi, 2001). Il a participé aux collectifs Appendix, 2048 et Polyominos ainsi qu’au feuilleton de Thomas Cadène Les Autres Gens, et a publié plusieurs albums en ligne sur Grandpapier.org.

Younn Locard est né à Rouen en 1984. Après la parution de son premier livre, H27, à l’Employé du Moi en 2009, il est parti faire un tour du monde de deux ans, pendant lequel il n’a cessé de dessiner et de publier ses carnets en ligne sur le site Grandpapier.org. Dérive orientale a paru en mai 2013 à L’Employé du Moi.

Ensemble, ils ont publié à l’An 2, en novembre 2013, un album très remarqué : Eloi, un huis-clos dramatique situé à bord d’une frégate en 1842. Ils ont travaillé cinq ans sur la trilogie Révolution, qui comportera trois tomes de 300 pages environ : 1. Liberté, 2. Égalité, 3. ou la mort.

REVUE DU WEB

Cinq ans à quatre mains

FRANCE CULTURE >>> Cette histoire, tout le monde la connaît, mais quand on s'est mis à écrire, on s'est rendu compte qu'il y avait une matière beaucoup plus riche, que c'était une manière de battre en brèche ces gros clichés qu'on avait sur cette période.

FRANCE 24 >>> entretien vidéo avec les auteurs

BD ZOOM >>> Une romance et une tragédie, une plongée dans le tumulte insurrectionnel. C’est par dessus tout une tentative de comprendre comment fonctionne la société dans les heures où tout valse : les valeurs, la loi et jusqu’à l’ordre cosmique.

BLOG FRANCETV INFO >>> On n'avait jamais vu la Révolution reconstituée sur papier avec un tel luxe de détails. Mais outre le côté graphique (une prouesse cela dit, car les auteurs travaillent à quatre mains, mais déceler les planches dessinées par l'un ou par l'autre est presque imperceptible), c'est le scénario qui vaut que vous précipitiez toutes affaires cessantes chez votre libraire.

LE TÉLÉGRAMME >>> Liberté, égalité, BD. Un livre-événement, une fresque grandiose qui brasse de multiples personnages co signée par deux lorientais qui se sont énormément documentés avant d’écrire et dessiner. Leur priorité ? Dépoussiérer. Que ça vive, que le dessin soit grouillant !

COMMENTAIRES

    KuB vous recommande