Porte-voix

Ondes fragiles 12

Raconter sa vie, au micro, surmonter son appréhension. J’étais anéantie témoigne Gisèle à propos de son licenciement. La dépression, c’est comme une maladie honteuse. L’animateur, sous son casque, est en empathie : Y a peut-être un avenir…

Montrer qui on est, présenter sa vie, même si elle n’est pas brillante. S’extérioriser plutôt que de s’enfermer. C’est ce que propose Plum’fm à ses invités : sauvageons ou déglingués de la vie… En se racontant à la radio on se construit, on apprend des autres.
Changer son regard sur les gens, avoir de la compassion en commençant par les écouter. Chacun aspire à une vie heureuse, et passer à la radio nourrit l’estime de soi, redore son blason. Le mal-être exclut, cloisonne, on n’en sort pas.


Les gens « normaux » ont peur de la différence, le regard de l’autre peut être blessant. Il faut s’arracher à l’image du proscrit, poser sa voix, s’imposer.
Ce travail d’animation socioculturelle est indispensable pour faire société. Il est lui aussi fragilisé, faute de financements suffisants. L’association porteuse de Plum’fm est menacée, au bord de la cessation de paiement, en demeure de licencier un salarié.
Le regard des documentaristes Françoise Bouard et Régis Blanchard, est sensible et impliqué, au point que Régis est devenu entre temps président de l’association.

DOCUMENTAIRE

ONDES FRAGILES

de Françoise Bouard et Régis Blanchard (2014)

Retrouvez ici la bande annonce de cette oeuvre (les droits de diffusion sur KuB sont arrivés à échéance).

Plum'fm est une radio associative rurale de libre expression où les maîtres mots sont intégration des différences, reflet de la diversité, prise de parole, écoute et solidarité. Les marginaux, les cas sociaux ont le même droit à la parole que les normaux. En leur ouvrant les micros, Jibé, éducateur spécialisé, fait tomber les étiquettes qui leur collent à la peau.


Jeunes délinquants, handicapés, personnes fragiles, se sentent enfin être des individus à part entière, des comme tout le monde.
Pourtant, ce formidable outil de cohésion sociale s'avère terriblement fragile. La crise couve et l'emploi de Jibé est sérieusement menacé.

>>> Un film produit par Franck Beyer, Les films de l'autre coté

INTENTION

Éducateur spécialisé radiophonique

par Françoise Bouard et Régis Blanchard

C’est en emménageant dans le petit village de Sérent que nous avons découvert Plum'fm. La petite notoriété dont elle bénéficie au niveau local et les quelques émissions que nous avons eu l’occasion d’écouter nous ont donné envie de nous en approcher et de rencontrer ceux qui lui donnent vie.

Nous avons très vite perçu cette association comme un lieu d’échange et de convivialité hors pair. Nous avons découvert que c’était bien plus qu’un petit média en milieu rural. Les singularités y sont cultivées, qu’elles soient sociales, culturelles, physiques, psychiques... Elles font partie de l’identité de la radio et c’est sur cet aspect que nous avons choisi d’engager cette réalisation documentaire.

La dynamique culturelle rejoint une nécessité sociale
Ce qui nous séduit le plus, c'est l'acceptation non-jugeante des difficultés et différences de chacun. Bipolaire, schizophrène, jeune délinquant, trisomique, marginal, chômeur... chacun peut exister tel qu’il est, sans faux semblant. On vient à Plum avec sa force mais sans être obligé de laisser ses faiblesses à l’entrée.


Tous se sentent ici en droit de parler, même si leur parole est peu ou mal assurée, même si leur discours n’est pas toujours très construit, la porte de Plum'fm est toujours ouverte. Ainsi, nous avons voulu plonger au cœur d’une aventure humaine à contre-courant des valeurs dominantes de la possession, de la compétition et de la réussite individuelle. Il y est question du regard : regard entre «normaux» et «anormaux», regard sur le monde qui nous entoure, regard des autres sur soi. Nous pénétrons des tranches de vie personnelles où parler est difficile, surtout quand on sait que les micros sont ouverts sur les ondes, et pourtant beaucoup s’accordent à dire que leur passage à Plum'fm a été salutaire.

Jibé, l’éduc spé radiophonique
Pour pouvoir saisir toute la dimension sociale de la radio, nous avons choisi de nous attacher à Jibé, animateur et éducateur spécialisé. Séance après séance, nous avons suivi les ateliers qu’il encadre auprès des malades mentaux, des jeunes repris de justice, des trisomiques, des dépressifs... Nous avons filmé sa ténacité et sa patience pour faire émerger d’eux le meilleur, le positif, l’estime de soi. Il partage avec eux d’intenses moments d’efforts et de plaisirs. Si la fragilité se ressent à chaque instant, c’est tout le processus de mise en confiance qui nous a séduit ; la parole livrée à l’antenne devient libératrice.

Les fragilités
Fragilité des gens, mais aussi fragilité de la structure. Quand nous avons engagé le tournage du film, la radio traversait une période de crise sévère : budget déficitaire, subventions à la baisse, crainte de ne pouvoir reconduire le contrat de travail de Jibé pourtant essentiel aux actions sociales que développe la radio. En choisissant Jibé comme personnage central, il devenait non seulement le passeur auprès des publics fragilisés qu’il accueille, mais cela permettait aussi de mettre en lumière les enjeux de la structure. Le travail de Jibé est décisif pour activer la dynamique sociale de Plum'fm et pourtant son emploi est menacé.

Finalement, en s'immergeant dans cet univers où les préjugés sont laissés de côté, en faisant part d'une autre possibilité où prévalent les valeurs de l'égalité et de la singularité, c'est de la société dont il est question dans notre film. L'envers finit par révéler l'endroit.

ENTRETIEN

UNE EXPÉRIENCE ATYPIQUE

ondes fragiles film

avec Régis Blanchard et Françoise Bouard

Comment vous est venue l'idée de faire ce film ?
Plum'fm est une radio basée à Sérent dans le Morbihan. Nous l'avons découverte en 2002 pour y parler de notre travail. Fondée en 1992 et d’abord basée à Plumelec, Plum'fm était avant tout faite par et pour les handicapés d’un Institut Médico Éducatif. Les fondateurs de cette radio ont eu la volonté de faire des émissions avec un fort ancrage local. Nous avons très vite été intéressés par ce qui se passait au sein de la radio. C'est un acteur local fort d'où l'idée de faire un film sur cette radio. Nous avons souhaité raconter son histoire, qui pourrait être décrite comme une expérience atypique dans un territoire rural, lié à l’agroalimentaire.

Comment s'est passé le tournage du film ?


Le tournage s'est déroulé de janvier à juin 2013, ce qui nous a permis d'être au plus près de la réalité quotidienne de la radio. Nous avons suivi les enjeux qui se sont créés au fur et à mesure du tournage. Il y a eu beaucoup de rushes. Nous avons travaillé avec un éducateur spécialisé, Jibé, qui mène des ateliers dans la durée. Ces ateliers sont multiples, comme celui avec un groupe de jeunes délinquants ou encore celui avec un groupe d’entraide mutuelle. La radio était dans une période financière assez douloureuse, avec la menace de suppression du poste de Jibé : nous avons donc décidé de suivre l’évolution de la situation financière.

Trois groupes participent à l'enregistrement de l'émission de Jibé. Avez-vous rencontré des réticences ?

La mise à nue était difficile pour certains. S'exprimer devant la caméra n'est pas chose aisée. Cependant la gêne fût temporaire. Nous avons réussi à créer un lien de confiance pendant et après le tournage. Les témoins avaient franchi une étape supplémentaire de leur extériorisation. Jibé est sans conteste le personnage central. C’est lui qui incite et invite à la parole ceux qui ne l’ont pas généralement. C'est une personne très sociable. La caméra a été très vite oubliée malgré l’espace qu’elle prenait. Le travail de scénarisation est possible dans les films documentaires. Mais avec notre travail d’immersion assez long, nous pouvons retrouver le réel du quotidien.

Qu'avez-vous voulu montrer à travers le personnage de Jibé ?
Le fait qu'il y ait plusieurs salariés entraîne nécessairement plusieurs axes de développement pour le film. Les thèmes pouvaient être le gallo ou encore l'environnement. Mais cela n’a pas été notre priorité. Nous avons choisi Jibé pour la prise de parole offerte. Il est le fond du film : parler de soi, de ce qui ne va pas, et le faire devant les autres. Jibé est un personnage atypique au sein du monde de la radio. C’est un travailleur social au sein d’une radio. Nous avons voulu mettre en évidence comment l’outil radio pouvait être un outil social fort.

Les fragilités et les faiblesses des personnes qui témoignent de leur souffrance sont dévoilées dans votre film. Quel est votre sentiment vis-à-vis de leur vécu ?
Nous avons fait le choix de montrer que la radio était un outil d’utilité sociale qui n’est pas soutenu à sa hauteur, malgré l’ancrage local. On cherche un divertissement dans la radio plus qu’un objet de transmission de savoir. Il s'agissait ici de laisser la place à des propos qu’on n’entend nulle part ailleurs. On donne la parole aux délinquants et non pas à des spécialistes qui ont un point de vue décalé. Ces témoins réussissent à mettre les mots sur leurs maux. Nous voulons apporter de nouveaux regards sur la société d'aujourd’hui.

Comment les protagonistes ont-ils vécu leur mise à nu ?
Un visionnage du film a été fait avec les personnes filmées. C’était difficile au départ, il y a un réveil de la souffrance, un bouleversement et une forte émotion de ces personnes, mais à la fin du visionnage, les témoins avaient envie de faire partager leur souffrance, à travers notre film.

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BIOGRAPHIE

Françoise Bouard et Régis Blanchard

Serge Blanchard et Françoise Bouard N&B

Régis Blanchard et Françoise Bouard sont nés tous deux en Vendée, et en 1972.

En 1995, de retour de deux années passées en Turquie où il était marchand de tapis avec les Kurdes d’Éphèse, Régis rencontre Françoise et son désir de cinéma documentaire. Ils entament une suite de films consacrés à la Turquie et ses enjeux démocratiques, sociaux et culturels, notamment la question kurde : Yürü, Un hiver à Istanbul, Sur la faille, Les couleurs lointaines du bonheur.
Depuis 2010, ils s’intéressent aussi à des histoires de vie plus proches en filmant la chronique d'une radio associative donnant la voix aux différences avec Ondes fragiles, des expériences théâtrales participatives hors du commun avec Même pas peur et À sa place, ou à travers leur projet 4 mois 1/2, le regard de jeunes adolescents en prise avec la justice. Ces films ont été diffusés sur des chaînes locales, régionales et nationales, sélectionnés et primés dans de nombreux festivals. Animés par le désir de transmettre le geste documentaire et un engagement social, ils collaborent régulièrement avec l’association Les Passeurs d’images et de sons dans le Morbihan, et dans la réalisation de documentaires institutionnels et participatifs.

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    Serge Blanchard et Françoise Bouard N&B

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