A.DIEU

Les moines de Tibhirine photo groupe

Le Testament de Tibhirine est un film minutieux et sensible qui nous conduit au plus près des moines d'une communauté implantée dans l'Atlas algérien. Le GIA a pris le maquis, chaque jour des étrangers sont assassinés, l'État s'engage dans une lutte sans merci contre les islamistes... Le pays plonge dans l'horreur. Les religieux sont rapidement pris dans l'étau, avant de succomber sous les coups de la barbarie.

Ils auraient pu en réchapper en rentrant en France, mais ils n'ont pas voulu abandonner leur pays, l'Algérie, et ses habitants avec qui ils avaient fraternisé, des populations pauvres, déshéritées. C'est avec une grande délicatesse qu'Emmanuel Audrain se penche sur leur histoire, nous faisant entrer dans le monastère silencieux, nous faisant entendre les mots du père Christian et de son funeste pressentiment. Son film a inspiré le long métrage de Xavier Beauvois, Des hommes est des dieux, avec Lambert Wilson dans le rôle de Christian, un film qui a connu un immense succès critique et public.

LE TESTAMENT DE TIBHIRINE

d’Emmanuel Audrain (2006’)

Retrouvez ici la bande annonce de cette oeuvre (les droits de diffusion sur KuB sont arrivés à échéance).

Algérie, Noël 1993, un groupe armé du GIA rend visite aux moines de Tibhirine dans l'Atlas. À cette époque, la lutte sanglante entre les islamistes et l’État algérien est à son paroxysme. Les moines s’interrogent : Faut-il partir ? Profondément attachés à ce pays, à sa culture et au peuple algérien, ils décident de rester. Il s’agit pour eux d’une forme de résistance. En mars 1996, sept d'entre eux seront enlevés et égorgés.
Dix ans après, leurs proches se souviennent et nous font comprendre leurs raisons de rester.

>>> un film produit par .Mille et Une. Films

INTENTION

L’ami de la dernière minute

par Emmanuel Audrain

Moines de Tibhirine

En 1996, sept moines français du monastère de Tibhirine étaient enlevés par un Groupe Islamiste Armé. Des moines dans ce pays en guerre civile ? Au terme d’une captivité de deux mois, leurs corps étaient retrouvés, égorgés.
Quelques jours plus tard, la presse du monde entier publie le testament du père Christian, le prieur de la communauté. Dans ces lignes, écrites deux ans et demi plus tôt, il revient sur ses choix : ma vie était donnée à Dieu et à ce pays. Il dit son souhait que l’Islam ne soit pas entaché par sa mort : l’Algérie et l’Islam, pour moi, c’est autre chose, c’est un corps et une âme. Il termine en pardonnant à l’avance à son meurtrier, qu’il appelle l’ami de la dernière minute.
C’est probablement parce que j’ai été bousculé par ce texte, que ce film est advenu. En 1998, ma rencontre inattendue de la famille de Célestin, l’un des moines originaire de Nantes, a créé l’étincelle.


Ensuite, souhaitant connaître les autres moines à travers leurs familles, j’ai découvert avec émotion que ces hommes formaient une véritable communauté. Leurs différences de caractères, mais aussi leurs différences sociales, politiques, religieuses… autrefois sources de friction, étaient devenues peu à peu, sources de richesse.
Incontestablement, ils avaient cheminé, ensemble. Leur option de rester - malgré les menaces - aux côtés de leurs voisins musulmans du village de Tibhirine, était un choix commun.
En 2005, je suis allé trois fois en Algérie. Quarante-huit jours, en tout. J’ai filmé seul, discrètement. Le monastère est vide, mais toujours entretenu. Le jardin est exploité. Les voisins m’expriment leur attachement pour ces moines, dont ils me confient certaines de leurs photos.
Beaucoup m’évoquent le sourire de Christophe, qui travaillait plus spécialement au jardin. On me montre le dispensaire du frère Luc, le toubib. Les locaux ne payent pas de mine, mais toute la région parle encore de lui, qui soignait gratuitement, depuis plus de cinquante ans. Et Paul, l’homme aux mains d’or ; l’artisan plombier, venu de Savoie, qui n’avait pas son pareil pour entretenir les pompes du système d’irrigation, ou ressouder un outil. Amédée, l’un des plus anciens, l’économe de la communauté, recevait bien des visites à la porterie. Cet homme des confidences et des peines partagées, était le grand-père de beaucoup. Il offrait des légumes, du miel, prêtait des outils. Certains se souviennent d’avoir été dépannés d’une somme d’argent. Discrètement. Jean-Pierre, lui, pilotait la camionnette qui transportait fruits et légumes, au marché. Avec son habit noir et blanc de moine trappiste, il ne passait pas inaperçu. Les fonctionnaires de la préfecture de Médéa qui délivraient les autorisations de séjour lui confiaient ; Vous, les moines, on vous aime bien, vous n’êtes pas orgueilleux.
Ce qui se vivait à Tibhirine était la Vie ; le travail de la terre, avec les associés, quatre jeunes pères de famille. Autour du monastère ; des enfants, un village avec des naissances, des mariages et des deuils. Les moines partageaient tout cela. Leur deuxième communauté, c’était ces familles.

Une des salles du monastère, donnant sur la rue, avait même été proposée aux villageois pour en faire une mosquée. Aujourd’hui encore, j’ai vu cette salle accueillir les enfants du voisinage, pour y réciter le Coran.
On se souvient que c’est Christian qui avait été à l’origine de cette initiative. C’était, il y a bien longtemps, en 1979 ou 80. Depuis lors, l’appel à la prière musulmane n’avait cessé de cohabiter avec les cloches chrétiennes.
Ces religieux venus de France avaient tous un lien particulier avec ce pays. Pour Amédée, Christian et Bruno, c’était une enfance algérienne. Pour Célestin, Paul et ( à nouveau ) Christian, c’était ces 27 mois de leur jeunesse, sous l’uniforme de l’armée française. Une Guerre d’Algérie, qui les avait tous marqués.
En revenant dans ce pays, ils s’étaient proposés d’écrire une page nouvelle de cette histoire commune.
Dans son testament, Christian écrit : Je sais trop le mépris dont on a pu entourer les Algériens, pris globalement. Je sais trop les caricatures de l’Islam qu’encourage un certain islamisme.

En 1992, après l’interruption du processus électoral, quand le feu de la violence embrase la société algérienne ; Groupes Islamistes Armés d’un côté, Forces de Sécurité de l’autre. Les moines doivent se positionner.
En restant, ils rejoignent cette résistance, que l’ensemble de la population oppose à la terreur. Mais ils y ajoutent leur spécificité ; les Groupes Islamistes Armés, ils décident de les appeler les frères de la montagne, les Forces de l’ordre les frères de la plaine. Ce n’est pas une façon de rester neutre. La neutralité, elle est impossible ! Mais, ils choisissent leur camp ; celui de la solidarité, de la non-violence. Et de la justice, à construire.
Le 1er décembre 1993, un Ultimatum impose aux étrangers de quitter le pays.
Quatorze jours plus tard, douze techniciens croates sont égorgés à Tamesguida, à quatre kilomètres de chez eux.

Dix jours plus tard, le 24 décembre, en pleine nuit de Noël, un commando saute le mur d’enceinte et demande à voir le pape du monastère.
Quand Christian arrive vers eux, il s’écrit : Des armes ne sont jamais entrées dans cette maison. Si vous voulez discuter avec nous, entrez, mais laissez vos armes, dehors. Si ce n’est pas possible, discutons dehors. Le chef du commando accepte de sortir. Il exige alors de l’argent et veut emmener le docteur, pour soigner ses blessés. Il faut exécuter ce que nous demandons, précise-t-il. Vous n’avez pas le choix !

- Si, j’ai le choix ! répond Christian. Nous ne sommes pas riches, nous travaillons pour gagner notre pain. Nous aidons les pauvres. Quant à laisser notre frère médecin partir dans la montagne, il n’en est pas question, vu son grand âge. La réponse est ferme. À la fin, Christian ajoute : Ce 24 décembre, notre communauté se prépare à célébrer la naissance de Aïssa, celui que nous appelons le prince de la paix. Venu pour tous les hommes. - Excusez-nous, dit le chef du commando. Nous ne savions pas. Mais, ce dernier ajoute : Nous reviendrons !

Quelques jours plus tard, à travers un vote à bulletin secret, la communauté se trace un cap ; Donner de l’argent est impossible, ce serait collaborer. Le vote est unanime. Le souhait de rester, en solidarité avec le village est unanime aussi. Mais, est-ce que cela sera possible ? Nous sommes un peu comme l’oiseau sur la branche, dit Christian à un voisin. Nous ne savons pas si nous allons pouvoir rester.

- Attention, lui répond ce villageois de Tibhirine. Les oiseaux, c’est nous. Et la branche, c’est vous. Et, si la branche s’en va, où allons-nous nous reposer ?

Ce Groupe Islamiste Armé de la nuit de Noël 93, avec sa demande d’argent, n’est jamais revenu ; le chef du commando a été tué, quelques mois plus tard. Mais, il y a eu d’autres Groupes, d’autres visites… auxquelles il a fallu faire face. Les moines et les voisins savaient qu’ils se protégeaient mutuellement. La résistance des uns, renforçait celle des autres.

Aujourd’hui, les villageois de Tibhirine notent qu’ils ont été peu touchés par cette décennie sanglante des années 1992 - 2002. Ils ajoutent : Aucun jeune n’a choisi une voie de violence. La présence des moines y a été pour beaucoup.

Reste cette terrible nuit du 27 mars 1996, où sept d’entre eux ont été enlevés, par un commando, qui a agi à visages découverts et dont l’accent prouvait qu’ils n’étaient pas de la région.
Les moines ont été tués le 21 mai. Dans quelles circonstances, précisément ?

Un jour, ces faits seront connus. Mais, ce qui est sûr, c’est qu’ils sont morts de cette résistance et de cette solidarité avec le peuple d’Algérie. Comme douze autres religieux chrétiens. Comme de nombreux imams. Comme les 150 000 victimes de la Guerre Civile.

Ces moines étaient enfouis en terre d’Algérie. La mort odieuse, qui les a mis en avant, a aussi révélé toute la lumière qui les habitait.

En citant de larges extraits du testament de Christian et du Journal de Christophe, ce film tente de leur redonner la parole. En le réalisant, j’ai été impressionné par l’actualité de tout ce qu’ils ont vécu, écrit ; ces hommes sont des justes. Leur pensée – nourrie de leurs vies de religieux – reste d’une étonnante actualité. Par rapport aux relations nord-sud. Par rapport à notre monde, malade de violence. Par rapport à la rencontre de l’autre, différent.

Cette pensée, ces choix citoyens, vécus anonymement à Tibhirine, ils les ont signés de leurs vies.

BIOGRAPHIE

Emmanuel Audrain

Emmanuel Audrain réalisateur

Emmanuel Audrain est un documentariste breton, dont les films gravitent beaucoup autour de l’univers de la mer. Non pas celle de Trenet ou de Valéry, mais celle, plus grave, que lui inspira le film de Kaminker et Dumaître, tourné en 1958 à l’île de Sein, La mer et les jours. Depuis son premier film Boléro pour le thon blanc, Ile d’Yeu 1985, en passant par Les enfants de l’Erika, jusqu’à Alerte sur la ressource, en 2002, les films d’Emmanuel Audrain vont au plus près des prises de conscience de notre époque, sans jamais en oublier l’humanité au sens propre, c'est-à-dire le peuple des pêcheurs et autres gens de mer.

Autre point commun entre les réalisations d’Emmanuel Audrain : la capacité d’écoute dont ils témoignent. On pourrait presque parler d’amitié comme valeur de plan ou de cadrage. Valent pour exemple ses films Mémoire des îles, PARTIR accompagné, Je suis resté vivant ! et Le testament de Tibhirine.

Lire la suite sur sa fiche artiste.

LE TESTAMENT

Amen, Inch'Allah

Frère Christian de Tibhirine

Voici le testament du père Christian, rédigé en 1993 alors que la menace se précise.

S’il m’arrivait un jour – et ça pourrait être aujourd’hui – d’être victime du terrorisme qui semble vouloir englober maintenant tous les étrangers vivant en Algérie, j’aimerais que ma communauté, mon Église, ma famille se souviennent que ma vie était donnée à Dieu et à ce pays.
Qu’ils acceptent que le Maître unique de toute vie ne saurait être étranger à ce départ brutal. Qu’ils prient pour moi : comment serais-je trouvé digne d’une telle offrande ?
Qu’ils sachent associer cette mort à tant d’autres aussi violentes, laissées dans l’indifférence de l’anonymat. Ma vie n’a pas plus de prix qu’une autre. Elle n’en a pas moins non plus. En tout cas, elle n’a pas l’innocence de l’enfance.
J’ai suffisamment vécu pour me savoir complice du mal qui semble, hélas, prévaloir dans le monde, et même de celui-là qui me frapperait aveuglément.
J’aimerais, le moment venu, avoir ce laps de lucidité qui me permettrait de solliciter le pardon de Dieu et celui de mes frères en humanité, en même temps que de pardonner de tout cœur à qui m’aurait atteint.
Je ne saurais souhaiter une telle mort. Il me paraît important de le professer. Je ne vois pas, en effet, comment je pourrais me réjouir que ce peuple que j’aime soit indistinctement accusé de mon meurtre. C’est trop cher payer ce qu’on appellera, peut-être, la grâce du martyr que de la devoir à un Algérien, quel qu’il soit, surtout s’il dit agir en fidélité à ce qu’il croit être l’islam.


Je sais le mépris dont on a pu entourer les Algériens pris globalement. Je sais aussi les caricatures de l’islam qu’encourage un certain islamisme. Il est trop facile de se donner bonne conscience en identifiant cette voie religieuse avec les intégrismes de ses extrémistes.
L’Algérie et l’islam, pour moi, c’est autre chose, c’est un corps et une âme. Je l’ai assez proclamé, je crois, au vu et au su de ce que j’en ai reçu, y retrouvant si souvent ce droit fil conducteur de l’Évangile appris aux genoux de ma mère, ma toute première Église, précisément en Algérie et, déjà, dans le respect des croyants musulmans.
Ma mort, évidemment, paraîtra donner raison à ceux qui m’ont rapidement traité de naïf, ou d’idéaliste : Qu’il dise maintenant ce qu’il en pense ! Mais ceux-là doivent savoir que sera enfin libérée ma plus lancinante curiosité.
Voici que je pourrai, s’il plaît à Dieu, plonger mon regard dans celui du Père pour contempler avec Lui ses enfants de l’islam tels qu’Il les voit, tout illuminés de la gloire du Christ, fruits de Sa Passion, investis par le don de l’Esprit dont la joie secrète sera toujours d’établir la communion et de rétablir la ressemblance, en jouant avec les différences.
Cette vie perdue, totalement mienne, et totalement leur, je rends grâce à Dieu qui semble l’avoir voulue tout entière pour cette joie-là, envers et malgré tout.
Dans ce merci où tout est dit, désormais, de ma vie, je vous inclus bien sûr, amis d’hier et d’aujourd’hui, et vous, ô amis d’ici, aux côtés de ma mère et de mon père, de mes sœurs et de mes frères et des leurs, centuple accordé comme il était promis !
Et toi aussi, l’ami de la dernière minute, qui n’auras pas su ce que tu faisais. Oui, pour toi aussi je le veux ce merci, et cet à-Dieu envisagé de toi. Et qu’il nous soit donné de nous retrouver, larrons heureux, en paradis, s’il plaît à Dieu, notre Père à tous deux. Amen ! Inch’ Allah.

Alger, 1er décembre 1993
Tibhirine, 1er janvier 1994
Christian

REVUE DU WEB

Des hommes et des dieux

INA >>> Le 31 mars 1996, quelques jours après l’enlèvement, le monastère du Mont Atlas ouvre ses portes aux journalistes. Le frère Robert, toujours présent sur place, explique sa volonté d’attendre le retour de ses amis.

FRANCE 2, 13h15 le dimanche >>> 2015, Dix-neuf ans après les faits, le juge antiterroriste Marc Trévidic s'est déplacé en Algérie pour pratiquer des autopsies et réaliser des expertises scientifiques. L'enquête est relancée et les témoignages recueillis sur place remettent en cause la version officielle de ce crime.

TÉLÉRAMA >>> Etienne Comar, scénariste du film de Xavier Beauvois Des hommes et des dieux, explique comment, au-delà du fait divers, il a voulu retracer le parcours spirituel et humain des moines de Tibhirine. Entretien. En 1996, j'avais mis de côté un tas de coupures de presse sur le sujet, sans savoir si j'en ferais quoi que ce soit un jour. La présence même de moines en terre d'islam m'avait beaucoup interloqué : était-elle une survivance du colonialisme ou un vestige de temps plus anciens ? Un jour, en 2006, je suis tombé sur le documentaire d'Emmanuel Audrain, Le Testament de Tibhirine, qui évoque le quotidien et la spiritualité des moines. Cela m'a donné envie de me pencher, via la fiction, sur leurs raisons de rester à Tibhirine malgré les menaces islamistes.

COMMENTAIRES

    CRÉDITS

    réalisation, image et son Emmanuel Audrain

    montage Michèle Loncol
    montage son Frédéric Hamelin
    mixage Thierry Compain
    étalonnage Frédéric Bécognée

    production .Mille et Une. Films
    coproduction France 3 Ouest, Le Goût du Large, Blink productions, TV5 Monde
    avec le soutien du CNC, Conseil Régional de Bretagne

    Artistes cités sur cette page

    Emmanuel Audrain réalisateur

    Emmanuel Audrain

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