L’urgence

Ruben Gablé L'urgence

L’image devient la caisse de résonnance de cette obscure composition musicale.

Beaucoup de bruit comme lien. Avec L’Urgence, Ruben nous offre un clip tout en justesse et en non-dits, loin du clinquant, de l’évidence, pour un intime voyage au cœur d’une allégorie de ce qui nous lie. De ce remontage par Mitch Fournial (La Sophiste) du film instructif A communication primers de 1953 surgit un étrange postulat, une entêtante vidéo à contretemps, avec l’urgence en ligne de fuite.

L’Urgence se dévoile en finesse, par un plan d’ouverture abstrait, semblable à des lignes sur un cahier, à l’image détériorée. Un crépitement se fait entendre, qui rappelle celui d’une vieille bobine qui défile et se heurte dans les rouages. Le morceau se lance alors, et la nature des choses se précise : le paysage défile, et l’on suit en réalité la route de lignes électriques, puis bientôt le ballet d’une nuée d’oiseaux, ou le mouvement d’une voiture sur la route.


Le clip rappelle assez naturellement Star Guitar des Chemical Brothers, réalisé par Michel Gondry, où chaque élément du défilement d’un paysage correspond à un son.

Chaque instrument y possède sa référence visuelle, la vidéo devenant alors une véritable partition musicale, une nouvelle manière de lire les notes et de comprendre les soupirs, les refrains, leurs agencements.

On retrouve donc cette même idée dans L’Urgence : un vol d’oiseau, un poteau électrique ou encore un feu d’artifice correspondent à un segment du morceau, une nappe de synthé ou un break de batterie. De ce curieux mickey-mousing à l’envers naît une ambiance envoûtante, cotonneuse, hors du temps, où la fusion des éléments nous assomme majestueusement. De lancinants arrangements, sous le coup de quelques cordes en peine mais encore sensuelles menées par les paroles de GaBLé, viennent créer une sensation de gueule de bois, et l’on arrive au bout du morceau comme on revient chez soi après une nuit sans sommeil, difficile retour de l’étrange, les pieds meurtris et la bouche pâteuse, mais la tête pleine, ivre de choses et d’autres.

Si le bruit peut être l’élément perturbateur d’une bonne réception, ennemi de la compréhension, il est ici au contraire un conducteur, qui permet à ce courant électro de passer. Ce remontage vient créer un nouveau sens, redonner des lignes de forces, propager une idée nouvelle, musicale. Les images et les sons se côtoient ici en un accord parfait, et qu’importe le message tant qu’il arrive à destination. Le film d’origine de Charles et Ray Eames est d’ailleurs lui-même basé sur la Théorie mathématique de la communication de Claude Shannon, qui voit cette dernière comme une théorie de signaux, sans égard pour sa signification, basée sur le bit, l’unité d’une information. La division devient ici combinaison, avec aux commandes les messagers de Ruben, Yann et Florian, deux ensorceleurs aux doigts d’or, et déjà la chimie opère. L’image scientifique du film devient art abstrait, la technologie se transforme en tableau de maître. De ces deux univers si éloignés, aux centres diamétralement opposés, naît pourtant une communication. Un lien se crée, l’image devient la caisse de résonnance de cette obscure composition musicale, et les frontières disparaissent pour laisser place à l’échange, l’unité ; la communication vue comme un ciment : entre des oiseaux, entre des hommes, entre des artistes d’horizons différents, entre des époques, entre une image et un son.

Avec ce clip en métaphores, le message de Ruben arrive intelligiblement à nos yeux et nos oreilles, nous laissant à chacun le libre plaisir d’y lire et ressentir ce que l’on désire. Faire passer un son, un sentiment, un message dans l’urgence ; l’urgence que quelqu’un l’entende, le vive, et lui-même le transmette.

L'URGENCE de Ruben feat. GaBLé

réalisé par Mitch Fournial (2015 – 5’24)

Ruben, ce sont deux hommes qui ne font qu’un :Florian Mona et Yann Chehu. Le premier subit son premier choc musical à 16 ans en écoutant Everybody knows de Léonard Cohen, BO du film Pump up the volume. Florian prend Nirvana de plein fouet et monte son premier groupe de pop-punk : Twirl Comics avec lequel il connaît un premier succès, cinq ans de tournées à travers l’Europe et trois EP. Pour Yann c’est d’abord le punk avec un premier groupe : Fraggle Rock. L’aventure ne dure guère ; il reprend des études et devient pendant 10 ans manager de grandes librairies. Pendant ce temps Florian accumule les expériences de studio et tourne avec différents groupes.

Il s’essaye à tout : auteur, compositeur, chanteur et producteur… En 2004 il s’installe à Rennes où il fonde Monarica, groupe avec lequel il sort un album et tourne sur les scènes du milieu surf.


Quasi au même moment Yann est à la tête du projet happening punk-rock Biergarten Eleganz. En 2007, en tant que spectateur, il monte sur la scène des Vieilles charrues avec les Stooges. Iggy lui tend le micro, comme un passage de témoin ? Il chante No Fun devant 75 000 personnes : sa vie a changé.

En 2007, fini la routine ! Yann fonde Success qui l’emmène autour du monde (2 albums, 300 concerts, 25 pays). Cette même année Florian entame une carrière solo. Il sort un premier album en 2009 puis un second en 2013, multipliant les collaborations et écritures : Dominique A, Autour de Lucie, ainsi qu’avec les réalisateurs Gilles Martin, Stéphane Prin ou encore Dominique Brusson…

Si rien ne prédestinait Yann à Florian et Florian à Yann, c’est pourtant au sortir d’un concert de Suuns lors du festival FME, au Québec, qu’ils se rencontrent. Ils sont encore sous le charme du groupe qu’ils viennent de voir, ils ont les mêmes goûts, parlent le même langage. Ils décident de s’essayer l’un à l’autre, dans un projet musical simple, composer sans trop réfléchir, pour le plaisir. Pendant six mois sans relâche ils se retrouvent tous les lundis. Au bout de la course se trouve La chambre d’échos. En septembre 2014, Michaël Declerck mixe l’album lui apportant sa forme finale. Mars 2015, premier live de Ruben aux Champs Libres à Rennes avec l’installation vidéo de Mitch Fournial. Jean-Louis Brossard programme Ruben aux Transmusicales 2015.

ESTHÉTIQUE DU CLIP

Une sorte de rêverie expressionniste

RUBEN GaBLé clip de la semaine

Kinoko >>> Le clip est inspiré de la scénographie des concerts, une sorte de rêverie expressionniste basée sur la répétition. L’ensemble des images du clip ont été téléchargées sur le site archive.org. Ces images sont abîmées et elles ont du grain, un peu comme notre musique.

BIOGRAPHIE

MITCH FOURNIAL

Mitch Fournial - Ruben

Victime d’une espièglerie prépubère, Mitch tire son surnom d’un serpent domestiqué dans un film pour ado. Il pratique le visuel avec l’outil numérique mais s’en détache manifestement. Empiriste par nature, il aime par dessus tout repenser la manière de vivre des expériences avec d’autres en en changeant le référentiel. Il s’intéresse donc évidemment à la représentation liturgique et à ses rituels. Co-fondateur de La Sophiste, il pose, décompose, recompose des images au-delà des écrans, crée des environnements immersifs et invite à une dé-condition de l’expérience collective. Adorateur d’incongruités bienséantes, il s’aventure aussi sur les usages du numérique et aspire à leurs inexorables dérives.

COMMENTAIRES

    CRÉDITS

    paroles GaBLé
    musique Florian Mona et Yann Chéhu

    réalisation Mitch Fournial
    images provenant de « A communications Primer » un film libre de droits de Charles & Ray Eames, 1958.

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