À l'origine

Leonarda-sourit,-G-Kozakiewiez

L’histoire de Léonarda est celle d’un retour aux sources. Guillaume Kozakiewiez, qui vit en Bretagne, remonte le fleuve intranquille de l’histoire de sa famille originaire de Pologne. Entre temps, pris entre le marteau nazi et l’enclume stalinienne, ce territoire a changé. C’est au fin fond de la Biélorussie, le dernier régime totalitaire d’Europe, que Guillaume retrouve son arrière-grande-tante Léonarda. À 25 ans, il réalise ainsi son premier film, révélant une manière de cadrer et de saisir la lumière, et posant un regard tendre sur les êtres qu’il filme.

BANDE-ANNONCE

LÉONARDA

par Guillaume Kozakiewiez (2007)

Retrouvez ici la bande annonce de cette oeuvre (les droits de diffusion sur KuB sont arrivés à échéance).

Léonarda est le film d’une rencontre, celle d’un jeune homme et de sa lointaine aïeule, d’un cinéaste français et d’une vieille femme au Belarus. Un couple improbable et magique, qui vit ces moments à deux comme un temps hors de tout. Cette magie pourrait faire oublier la réalité du dehors. Mais le temps viendra où le contexte politique influera sur la relation. Il faudra alors se dire au revoir.

>>> un film produit par Gilles Padovani .Mille et Une .Films

INTENTION

Braver sa timidité

par Guillaume Kozakiewiez

Franciszek, mon arrière-grand-père, aurait eu 100 ans en 2006.
En 1930, il a 25 ans et laisse derrière lui la Pologne, sa mère, quatre frères et une sœur. En France, le pays doit se reconstruire et la main d’œuvre manque, c'est là qu'il compte trouver un travail régulier, bien payé - ce ne fut pas le cas - et des conditions de vie moins dures. Une vie d’ouvrier agricole. Il ne reverra jamais la Pologne.
À 25 ans, je décide de faire le chemin inverse, dans l’espoir de rencontrer les enfants de ses frères et sœurs.
J’ai trouvé Czurki, le village natal de Franciszek, sur une carte de 1930. C’est aujourd’hui en Belarus et non plus en Pologne, les frontières ayant changé après la seconde guerre mondiale.


Je suis parti en juillet 2005, seul, avec un sac, un dictionnaire, une caméra, le passeport franco-polonais de Franciszek et la seule lettre qu’il ait reçu de sa famille, datée de 1935. J’ai retrouvé Léonarda, nièce de mon arrière-grand-père, elle vivait alors à Pachkichki, un village à 8 km de Czurki, appartenant au même kolkhoze.
Léonarda sait nos différences. Elle sait que je ne bâtirai jamais ma maison seul, ne travaillerai pas aux champs toute une vie, que je n’en ai pas envie. Je ne crois pas en Dieu, travaille avec les ordinateurs et des caméras. À 27 ans, j’ai déjà vu plusieurs pays, connais plusieurs langues mais ne sais pas réparer une toiture, reconnaître les champignons en forêt, ne suis pas marié. Pour elle, je suis un philosophe qui pose des questions auxquelles il n’y a pas de réponses, quelqu’un de courageux et solitaire parce que je suis venu ici, tout seul. Je voyage en laissant ma fiancée seule pendant de longues périodes. Léoanarda m’a fait remarquer qu’un jour, ma fiancée cessera de m’aimer et que je l’aurai cherché. Et je suis aussi occidental, riche, capitaliste et je veux le départ de Loukaschenka… Mais toutes nos différences ne l’étonnent pas.
Elle est heureuse que je sois venu jusqu’ici et elle m’initie à sa vie. Je suis comme un petit-fils immigré, ce que Franciszek fut il y a 75 ans quand il arriva en France. Je suis arrivé au bon moment, elle emportera mon souvenir, le souvenir de la descendance de Franciszek après sa mort.
Mais il y a quelque chose qu’elle ne comprend que difficilement, pourquoi faire un film sur elle. Sa vie n’a rien de passionnant. Si je veux faire du cinéma, pourquoi venir en Belarus ? Il y a des pays tellement plus beaux ! Je lui ai répondu que pour faire un film sur quelqu’un, j’avais besoin d’aimer la personne… Ça l’a beaucoup fait rire. J’étais un peu embarrassé, mais aussi soulagé de quelque chose qu’il aurait fallu avouer à un moment ou à un autre. Le cinéma donne du courage à ceux qui sont timides.

Leonarda et une amie

Un film en quatre voyages

Quatre temps de la relation comme quatre saisons : la naissance, l’éveil, la maturité, la mort.

Lors du premier voyage, j’ai très peu filmé, mais lors du deuxième, j’ai commencé à capter son quotidien, sa relation à la terre, les tâches qu’elle accomplit en prenant le temps. Des choses qui reviennent à la mode chez nous par nostalgie, ou par peur d’un futur décidément trop technologique, déshumanisé. De ces séquences ressortent une ode à la vie et un hommage à la terre nourricière. Un portrait de Léonarda, qui fut paysanne toute sa vie et mourra comme elle est.


Des moments aux allures banales mais qui révèlent beaucoup sur une personne, une culture. Des phrases, des réflexions aux airs anodins qui, parce qu’elles sont spontanées, vraies, peuvent dire plus que des réponses à des questions préparées à l’avance.
Mon lien de parenté n’est dévoilé qu’à la fin de ce premier mouvement. Cette complicité du début, c’est celle que l’on peut avoir avec une femme âgée en Afrique ou en Bretagne, et je préfère laisser le spectateur rencontrer Léonarda sans évoquer dès le départ ce lien du sang. Il faut faire connaissance avec elle, apprendre à l’aimer. Elle pourrait être notre grand-mère à tous. Vers la fin du premier mouvement, arrive la séquence où je lui montre les papiers de Franciszek, son passeport, sa carte d’émigrant.
Ce tournant, à la fin du premier hiver, amène une autre dimension, celle de la filiation, de la relation. Ce retour aux sources est l’origine du film, je ne pouvais pas et ne voulais pas rester extérieur à l’histoire.

L’éveil, la maturité
Afin de découvrir la réalité du dehors, il m’a fallu, dans le deuxième et le troisième mouvements du film, me détacher un peu de Léonarda. Découvrir sa réalité, qui aurait pu être la mienne.
Léonarda parle souvent du kolkhoze. Il a régi une grande partie de son existence et Wacek continue d’alimenter ce lien à ce qui a pu constituer le bonheur de Léonarda, ce qui aujourd’hui reste ses meilleurs années. J’ai ainsi suivi Wacek pour aller rencontrer les gens du kolkhoze, saisir des visages, le travail, et des discussions lors des pauses, des repas.
Dans cette exploration du contexte, il y a autre chose qui m’intéresse. Léonarda voit le monde changer, dévier, devenir une cacophonie générale. Sur ce point, je suis tout à fait d’accord avec elle. Mais la télévision qui lui donne à voir le monde est une fenêtre sur ce qui nous différencie le plus, le contexte politique. En retrouvant Léonarda, j’ai retrouvé un morceau d’identité, mais j’ai découvert un pays où les Droits de l’Homme sont bafoués, où la liberté d’expression, l’indépendance des médias n’existent pas. Vivre aux côtés de Léonarda me plonge dans un régime où la propagande est omniprésente et façonne les esprits. Comment, à l’intérieur d’un tel système, l’identité peut-elle se construire ou se déconstruire ?
Toute sa vie, Léonarda a dû ingérer les discours et la pensée d’hommes politiques charismatiques et populistes tels que Staline, Kroutchev, Brejnev… jusqu’à Loukaschenka. Dans ma tentative de compréhension de Léonarda, je ne suis pas seulement anthropologue cinéaste, je suis petit-fils. Cette position m’encourage à considérer cette situation comme un miroir. Qui serais-je aujourd’hui, si j’étais né dans ce contexte ?

La mort
Un dernier mouvement, plus court, dernier retour nécessaire pour se dire au revoir. La fin d’un conte où je retrouve Léonarda et les gestes du début, tout en gardant à l’esprit le cheminement que nous avons fait tous les deux. La fin d’un rêve qui bataille avec la réalité, la réalité du dehors qui cherche à s’imposer mais qui n’effacera jamais notre rencontre.

PERSONNAGES

Nationalité : catholique

portrait Leonarda Kozakiewiez

En 2007, Léonarda est la doyenne de la famille. À 75 ans, elle vit seule dans la dernière maison du village, là où finit la rue et commencent les champs. Elle aime s’occuper de son isba, cultiver son potager, s’occuper de ses cochons et de ses poules. La mort, elle n’en a pas peur. Elle est heureuse devant certaines émissions de télévision, des séries brésiliennes doublées en russe, et suit avec attention les nouvelles du monde au journal télévisé. Heureuse lorsqu’elle voit ses enfants, ses petits-enfants, lorsqu’elle va à l’église. Le téléphone lui permet de rompre la solitude. À deux cents mètres de sa demeure, pointe le cimetière avec la tombe de son mari mort il y a vingt-quatre ans.


Toute sa vie a été liée au travail de la terre et au kolkhoze. Elle y a travaillé prés de trente ans, avant de devenir pensionnaire à l’âge de 50 ans parce qu’elle devait élever ses six enfants. Aujourd’hui, le kolkhoze est dirigé par son fils aîné, Wacek, un apparatchik qui habite une maison de fonction où se retrouve la famille pour le bagnat (sorte de sauna).
Elle vit au rythme du soleil et des saisons, sereine, calme.
Elle garde son amour de la terre, vit une retraite paisible, vieillit en restant autonome, des yeux brillants et bavards, des mains fortes et agiles qui témoignent déjà de sa personnalité. L’été, elle passe des après-midi entiers à rire et converser avec ses amis ou anciens collègues de kolkhoze, sur le petit banc bleu en face de chez elle. L’hiver, elle attend l’été, parfois en s’impatientant.
Léonarda se considère de nationalité catholique, comme son mari. Ensemble ils sont allés au kolkhoze, ont travaillé la terre. Elle est à la retraite depuis 27 ans et a élevé six enfants toute seule. C’est ce qu’elle a accompli de plus beau dans sa vie. Franciszek est parti l’année où elle venait au monde…
Dans sa jeunesse, elle a vu bien des armées, des promesses et des sales choses. Son village, lorsqu’elle est née, était en Pologne. Il y a eu l’invasion des Allemands, puis les Bolcheviks… En 1944, les frontières bougent et son village se retrouve en BSSR. République socialiste de la Belarus. Léonarda a 14 ans.
Elle vit dans une société paysanne plus que dans une société industrielle, à une heure en voiture de la frontière polonaise, dans un pays considéré comme la dernière dictature d’Europe. Elle votera très certainement pour le président actuel car la liberté d’expression, les médias indépendants, l’opposition politique, tout cela ne la concerne pas. Son souhait est de finir sa vie paisiblement, dans son village, rejoindre son mari sans jamais lui avoir été infidèle et mourir en paix. Habitée par une énergie considérable, une joie de vivre inaltérable elle entend vivre dignement jusqu’à la fin. Elle ne manque de rien, ne connaît pas la misère. Pour elle, la misère est en Occident.

guillaume Kozakiewiez au mont st michel

Guillaume, l'arrière-petit-fils filmeur

Je suis l’arrière petit-fils de Franciszek. Je suis né et ai grandi en France. J’ai toujours su que j’avais des origines polonaises, mais pas davantage. Parce que la recherche de mes racines constituait un très bon motif de voyage, j’ai commencé à aller en Pologne, découvrir, chercher. Je ne trouvais pas la réalité du pays foncièrement différente de la France. Lorsque je suis arrivé en Belarus, ce fut le choc, une réalité à l’image de l’alphabet, indéchiffrable.
Et puis j’ai rencontré Léonarda, l’aboutissement d’une quête, le début d’une sacrée histoire, d’une histoire sacrée.

Il existe un autre personnage, omniprésent, incontournable en Belarus, le président Alexander Grigovitch Loukaschenka.


Il se fait appeler Bat’ka, le père. Depuis qu’il est au pouvoir, les routes sont en bon état et les champs sont cultivés. Il offre la retraite la plus élevée de la Communauté d’États Indépendants, 76 $ par mois et un programme social généreux. C’est un très bon populiste. Charismatique et bon acteur. Il a grandi et a travaillé dans un kolkhoze, connaît très bien cette réalité et s’adresse à tous les kolkhoziens et personnes du monde rural avec le cœur.
Chez Léonarda, il est partout, parle sans cesse.
Léonarda allume la télévision et le président apparaît, elle ouvre la radio et le président y est bavard, chaque jour sur le journal, des photos du président, des articles sur lui. Dans la pièce de vie, il y a une radio fixée au mur avec pour seul bouton celui du volume. Pas de tuner, pas de bouton marche/arrêt, juste un fil qui relie la boîte à une prise électrique. Cette radio mise en place par Staline dans les années 40 émet encore. Il est possible d’entendre pendant parfois plus d’une heure, le président Loukaschenka, vanter la stabilité du pays et le caractère travailleur et volontaire des citoyens belarusses. On peut aussi l’entendre parler de l’Occident qui pervertit les mœurs, fait la guerre aux pays faibles pour s’enrichir.
À voir Léonarda assise sur la banquette en train d’écouter, un peu perdue dans ses pensées, Loukaschenka apparaît plus qu’un homme : un système.

Ultimes nouvelles

Léonarda s'est éteinte à la fin de l’été 2011.
Elle aurait voulu rester dans sa maison jusqu'à la fin mais ses enfants ont préféré la prendre chez eux, à 30 km de son village. Là-bas, ce n'était plus sa vie, ni son monde. Elle s'ennuyait, pensait constamment à ses anciens voisins… se réfugiant dans le souvenir de l’isba qu'elle avait construite de ses mains avec son mari. Bref, cet exil de 30 km ne lui était pas supportable.
Elle est très vite partie, sans souffrance m'a-t-on dit. Elle repose à côté de son mari, sous terre ou dans les cieux. C'est ce qu'elle voulait : le rejoindre. Je pense qu'elle n'a pas eu peur, et qu'elle devait même ne plus attendre que cela. Elle avait fait son temps.

Guillaume Kozakiewiez

BIOGRAPHIE

GUILLAUME KOZAKIEWIEZ

Guillaume Kozakiewiez réalisateur

Né en 1979, Guillaume Kozakiewiez grandit dans l’est de la France. Ses études le mènent en Bretagne où il vit depuis.
Passionné de photographie, il se met à la pratique du montage puis à la prise de vues en autodidacte, pour se former finalement à la pratique documentaire.
Réalisateur, voyageur, curieux et un peu solitaire, Guillaume fait de la caméra vidéo, légère à transporter, son outil fétiche pour raconter des histoires de vie dans différents continents. Le portrait est son motif de prédilection, donnant lieu à des longs métrages documentaires. L’acte de création recoupe plusieurs de ses films avec un personnage de funambule, un réalisateur sur France Culture, des musiciens de Boston… Aujourd’hui, la fiction prend place dans son travail, avec toujours la figure du portrait ancrée dans des histoires. Son premier court métrage, Je les aime tous, a été pré-sélectionné aux Césars 2018 après avoir été sélectionné dans les festivals de Clermont-Ferrand, Thessalonique, Lille, Villeurbanne...

Guillaume est aussi chef-opérateur pour des réalisateurs de documentaire et de fiction. Il travaille à l'écriture d'un long métrage de fiction qui suit une femme prostituée se révélant au grand jour, ainsi que sur un documentaire à propos de frères jumeaux Gazaouis, eux aussi cinéastes.

REVUE DU WEB

Décalage séculaire

BRETAGNE ET DIVERSITÉ >>> Rencontre avec un chef opérateur manifestement très doué, qui se met un jour à faire ses propres films et nous emmène en Biélorussie tout d’abord, coude à coude avec une Léonarda énigmatique...

LE NOUVEL OBS, Olivier Postel-Vinay >>> La Biélorussie, dernière dictature d'Europe Comment expliquer le maintien durable en Biélorussie d’un régime dans lequel tout citoyen est étroitement surveillé et le moindre opposant politique emprisonné? Par le poids de l’histoire, les vertus de l’économie et l’habileté d’un démagogue.

LIBÉRATION, Justine Salvestroni >>> Quand Minsk tombe le masque. Une fois sur le sol biélorusse, on prend une heure de décalage et… on remonte dans le temps de quelques années...

INA >>> Enfants d’immigrés polonais : quatre femmes parlent de leur histoire. En hommage à la Pologne, en relation avec l'instauration de l'État de guerre le 13 décembre 1981, quatre invitées, nées de parents polonais immigrés ou de parents franco-polonais font chacune une courte autobiographie et témoignent : les rapports avec les familles en Pologne, les traditions conservées par les Polonais de France ; une invitée raconte son voyage récent en Pologne.

COMMENTAIRES

    CRÉDITS

    auteur-réalisateur, image et son Guillaume Kozakiewiez

    montage Guillaume Kozakiewiez, Gisèle Rapp-Meichler - M3 Production

    montage son Alexandre Hecker
    mixage Didier Cattin - L'Atelier sonore
    étalonnage Éric Salleron - Avidia

    production .Mille et Une. Films
    coproduction TVR
    avec le soutien du CNC, de la Région Bretagne, de la Procirep-Angoa

    Artistes cités sur cette page

    Guillaume Kozakiewez portrait

    Guillaume Kozakiewiez

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