La tueuse

gravure portrait Hélène Jégado

Deux siècles après avoir sévi, La Jégado, serial killeuse bretonne, n’en finit pas d’inspirer les raconteurs d’histoires. Jean Teulé signe en 2012 son portrait romanesque Fleur de Tonnerre, adapté ensuite au cinéma par Stéphanie Pillonca et Gustave Kervern. En 2017, paraissent les deux tomes d’Arsenic, un biopic en bande-dessinée de l’empoisonneuse, signé Olivier Keraval et Luc Monnerais, reparu en 2019 dans un volume unique sous le titre La Jégado, tueuse à l'arsenic.
Une exposition aux Archives départementales d’Ille et Vilaine fait le lien entre les documents d’époque et ces œuvres contemporaines.

De quoi est faite cette passion pour une incarnation diabolique ? La question est posée à Keraval et Monnerais, et à un autre binôme qui se lance dans un nouveau projet de bédé sur la Jégado : Jean-Luc Cornette et Jürg.

Et pour commencer, voici un docu-fiction de Pierre Mathiote qui s’adosse sur le travail d’une troupe de théâtre amateur engagée dans la représentation du procès de la Jégado, une pièce fidèle aux minutes du procès conservées aux Archives.

Une page en partenariat avec les Archives Départementales d'Ille et Vilaine

LA JÉGADO

de Pierre Mathiote (2006 - 53’)

Les archives départementales d’Ille et Vilaine possèdent l’intégralité du procès d’Hélène Jégado, consignant toutes les questions et réponses, ceci ayant permis d’écrire tous les dialogues du film. Dirigés par le metteur en scène Christian Perron, des comédiens amateurs rejouent la vie et le procès de la Jégado, reconstitués à partir de ses confessions à l’abbé Tiercelin la veille de son exécution, et captés par Pierre Mathiote dans ce docu-fiction.

>>> un film produit par Cinérgie Productions

HISTOIRE

Vie et mort d’Hélène Jégado

par Marion Ferrer, Éric Joret, Claude Jeay

La Jégado sur le banc des accusés
Estampe représentant Hélène Jégado sur le banc des accusés, 884.0022.49, Musée de Bretagne, Leroy, 1852

Hélenne Jégado, selon l’orthographe de son acte de naissance, voit le jour le 17 juin 1803 de parents cultivateurs, à Kerhordevin en Plouhinec, dans la campagne morbihannaise. Dans cette région, la population paysanne est très attachée à la religion catholique mais également aux croyances bretonnes. Elle ne sait ni lire ni écrire, s’exprime dans un patois franco-gallo-breton.
La future criminelle évolue dans ce contexte social. Même si rien ne peut le prouver, certains pensent qu’elle est fascinée par les légendes bretonnes parlant de l’Ankou, une personnification de la mort, souvent représentée comme un squelette encapuchonné d’une cape noire. Peut-être qu’Hélène a voulu incarner ce personnage en se donnant le droit de vie et de mort sur ses victimes.
Alors qu’elle n’a que sept ans, sa mère décède et son père la confie à ses tantes maternelles, toutes les deux domestiques au presbytère de Bubry. Elles apprennent le métier à la petite Hélène, notamment dans les cuisines. Après quatre ans à Bubry, Hélène suit l’une de ses tantes chez ses nouveaux employeurs au presbytère de Séglien où elles restent pendant 18 ans. À 30 ans, elle ne connaît que le travail de domestique dans les presbytères et paraît sans histoire hormis des problèmes d’alcoolisme qui finiront tout de même par lui coûter sa place. Elle se gage donc au presbytère de Guern au service de l’abbé Joseph Le Drogo à la fin du printemps 1833. C’est ici que sa carrière d’empoisonneuse commence.
Pendant les huit années qui suivent, elle va semer la mort partout sur son passage dans les villes de Guern, Bubry, Locminé, Auray, Plumeret, Pontivy, Hennebont, Lorient et Ploemeur. En quatre mois, sept personnes décèdent, toutes dans les mêmes circonstances :


des douleurs atroces au ventre et de nombreux vomissements. Le père, la mère et la nièce de l’abbé Le Drogo sont les premiers de la liste. Ils sont suivis par une des journalières et l’abbé lui-même. Mais Hélène Jégado ne s’arrête pas là et assassine également une autre journalière du presbytère ainsi que sa propre sœur, Anna Jégado, alors qu’elle vient assister aux obsèques de l’abbé. Cette série d’assassinats est la première qu’on lui connaît.
Alors qu’elle se retrouve seule survivante, personne ne la soupçonne. En effet, la cuisinière a la réputation d’être une femme très pieuse et prend soin des malades avec un dévouement sans faille.
Après l’épisode de Guern, l’ironie macabre veut qu’elle se rende au presbytère de Bubry où elle prend la place de sa sœur Anna, qu’elle vient d’assassiner. Elle y retrouve une de ses tantes qui y travaille et elle l’empoisonne ainsi que la sœur et la nièce de l’abbé.
Il s’ensuit alors, pendant plusieurs années, des décès mystérieux dans l’entourage d’Hélène Jégado qui se place de maisons en maisons. À Auray, où elle se trouve au service de la famille Hétel en 1836, de lourds soupçons commencent à peser sur elle. Cependant, jamais la possibilité de meurtre par empoisonnement n’est évoquée. Les rumeurs disent que dans toutes les maisons où servait Hélène, il mourrait quelqu’un de manière inexplicable [et que] cette fille usait de sortilèges. Elle tue sans distinction même les enfants.
Hélène Jégado arrive à Rennes en août 1848 et passe de familles en familles, faisant à chaque fois plusieurs victimes, y compris des enfants et une femme enceinte. Les docteurs Beaudoin et Pinault finissent par être intrigués par les morts successives, et soupçonnent une mort par empoisonnement. Ils se procurent discrètement des selles et vomissements des victimes afin de les analyser, après qu’Hélène Jégado a refusé de leur en mettre de côté. Ils donnent l’alerte, et le juge d’instruction et le commissaire de police en charge de l’enquête procèdent le jour même à l’arrestation d’Hélène Jégado. Son interrogatoire prend la forme d’un dialogue de sourd car l’inculpée nie les fait qui lui sont reprochés. Lors de la perquisition du domicile, ils passent au peigne fin les deux mansardes occupées par l’inculpée mais n’y trouvent rien de probant.
Encore aujourd’hui nous ne savons pas comment Hélène Jégado s’est procuré l’arsenic. Elle confie à l’abbé Tiercelin, avant de monter à l’échafaud, que c’est une femme des environs de Guern qui le lui a donné à ses débuts et qu’ensuite, elle en a acheté à Vannes et dans une pharmacie à Rennes. Mais les registres des pharmaciens n’en font absolument pas mention.
La découverte de l’immense carrière criminelle d’Hélène Jégado est sur le point d’être mise au jour. L’affaire prend une tournure de plus en plus incroyable et les Bretons suivent avec assiduité les différentes étapes de cette enquête. Le procès s’ouvre le 6 décembre 1851 à la Cour d’assise d’Ille-et-Vilaine, dans la salle d’audience du Parlement de Bretagne. De nombreux témoins se succèdent, y compris des victimes d’empoisonnement ayant survécu. Même devant les lourdes charges qui pèsent contre elle, Hélène Jégado nie être responsable des morts qu’on lui attribue et clame inlassablement son innocence. Le 14 décembre 1851, Hélène Jégado est jugée coupable des 18 chefs d’accusation prononcés à son encontre. Elle sera guillotinée sur place publique quelques semaines plus tard.

TABLE RONDE

4 visions 2 BD

Table ronde animée par le journaliste Arnaud Wassmer entre les deux binômes d’auteurs de bédés sur la Jégado :

  • Olivier Keraval & Luc Monnerais, pour Arsenic (Éditions Locus Solus)
  • Jean-Luc Cornette & Jürg pour Fleur de tonnerre (Éditions Futuropolis) adaptation du roman de Jean Teulé (sortie prévue début 2020).

une captation co-réalisée par KuB et les Archives d’Ille et Vilaine

PROCESSUS

Les recherches graphiques

par Luc Monnerais

extrait de la BD d'Arsenic
Extrait d’Arsenic, tome 1, Luc Monnerais, 2017

Si la bande dessinée présente un produit fini forcément cadré qui ne souffre pas l’approximation, le travail de recherche et les moyens mis en œuvre pour y parvenir permettent au dessinateur de s’approprier l’histoire et le travail du scénariste dans une réelle liberté lorsqu’il s’agit de la phase de recherches et d’essais (personnages, découpage, cadrage, choix du médium...).
Le crayon reste mon outil préféré mais c’est surtout dans les formats de mes brouillons, souvent surdimensionnés (A3 ou plus) par rapport aux dimensions finales d’un album, que j’aime à élaborer mes découpages et mes cadrages. Le format des planches pour la mise au propre reste conséquent (40 X 60 cm). Je ne suis pas à l’aise dans des dimensions inférieures qui ne me permettent pas d’obtenir le niveau de détail recherché.
Je pense aussi que le choix d’un crayon gras (2B - 3B) pour le travail final des cases n’a rien d’anodin. Le papier, le crayon, le risque de salir son propre travail si j’oublie de décoller ma main du support nécessitent une vraie pratique qui s’acquiert dans la durée. J’ai donc davantage l’impression de dominer mon sujet dans cette pratique qu'avec un travail sur écran. Il y a quelque chose de concret à devoir tailler autant de crayons, user autant de gommes et tracer ses cases sur un vrai papier.
La recherche des personnages me tient particulièrement à cœur. J’aime trouver les caractéristiques voulues par le scénariste qui définiront au mieux le type et l’esprit de chaque protagoniste. Alors pourquoi ne pas les faire exister aussi en volume ? Pour ce double album, ils m’ont accompagné trois bonnes années. J’ai donc trouvé naturel, même si je ne suis pas un spécialiste du modelage, de les rendre tangibles dans l’argile.

REVUE DU WEB

Le crime au féminin

CHEEK MAGAZINE >>> Au fil des siècles, l’empoisonnement, le crime des lâches, a été invariablement associé à la gent féminine. Une représentation genrée du crime due à l’imaginaire collectif façonné par la littérature ou le cinéma, mais aussi au traitement historique et médiatique des affaires.

VICE >>> Une chronologie des femmes tueuses en France : S'il était un temps admis de penser que les femmes étaient prédisposées à la pratique de l'empoisonnement à l'aide de produits domestiques, l'histoire de la criminalité féminine démontre qu'elles sont tout aussi capables de manier l'arme à feu, le couteau de cuisine, la hache ou la meuleuse.

CAHIERS BALKANIQUES >>> L’anatomie d’un crime au féminin : Il est bien connu que dans l’imaginaire collectif le meurtre par empoisonnement est réservé aux femmes. Dans la tradition populaire grecque, le crime féminin – passionnel par excellence – s’associe à une violence archaïque qui renverse l’image de la mère nourricière en projetant des figures contre-nature ou démoniaques. Motivées par la vengeance et surtout la jalousie, les assassines tuent et se vengent en cuisinant souvent pour exprimer dans un contexte patriarcal le profond malaise familial.

DROIT & CULTURES >>> Au bonheur des dames : Est-ce la criminalité féminine elle-même qui reste en marge des analyses de la criminologie et du droit traditionnels, car la femme criminelle ne peut être que folle ?

LE FIGARO >>> Stéphanie Pillonca, réalisatrice de Fleur de tonnerre, adaptation du roman de Jean Teulé sur la Jégado : J'ai été bouleversée par l'histoire de cette jeune femme, sa solitude, son déclin ; cette fillette de 5 ans placée sous le sceau de la maltraitance, qui a grandi dans des conditions extrêmes.

TOPITO >>> Top 10 des empoisonneuses célèbres et flippantes : Les veuves noires ne sont pas que des araignées, ce sont aussi des psychopathes assoiffées d’argent et sujettes aux pulsions meurtrières qu’il ne vaut mieux pas croiser. Vous êtes prévenus.

COMMENTAIRES

  • 19 Février 2020 11:17 - DEVANLAY

    j'aime bien le contenu......... c'est un peu épuré au point de vu dessin

CRÉDITS

LA JÉGADO
avec Taïra, Yves Arnault
réalisation Pierre Mathiote
image Virginie Schneider
montage Pierre Mathiote, Thierry Massé
production Cinérgie Productions
coproduction Rennes Cité Média / TV Rennes, France 3 Ouest

EXPOSITION
Archives départementales du 35
commissariat Marion Ferrer, Éric Joret, Claude Jeay
scénographie association Quai des bulles

BD
dessin Luc Monnerais
scénario Olivier Keraval
édition Locus Solus

TABLE RONDE
image Nese Guvenc, Jean-Marc Le Rouzic
son, montage Nese Guvenc

Artistes cités sur cette page

Portrait Pierre Mathiote noir et blanc

Pierre Mathiote

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