Connivences

© Thersi et la mer

Michel Thersiquel est un photographe, essentiellement portraitiste, qui s’est attaché sa vie durant à saisir l’essence de l’être chez ses compatriotes bretons, des gens ordinaires, travailleurs. Il gagnait sa vie en faisant des mariages. Il est mort en 2007 à l’âge de 63 ans. Depuis, pas une année ne passe sans que son travail ne soit exposé ici ou là. Son regard, profond et tendre, n’a pas pris une ride.

L'expo Thersi et la mer à la galerie Le Lieu à Lorient, est l’occasion d’aller voir. Un peu plus bas l'on peut aussi passer un moment en compagnie du photographe dans le reportage de Paul André Picton réalisé en 1977. Xavier Grall y parle des portraits de Thersi en ces termes : tous ces visages, c’est une agonie acceptée.

Ces messieurs n’étaient pas de joyeux drilles, mais leur présence nous manque.

EXPOSITION

THERSI ET LA MER

Michel Thersiquel fut l’un des fondateurs de Sellit 150, l'association qui a créé les Rencontres photographiques et la galerie Le Lieu.

L'exposition Thersi et la mer compte une soixantaine de ses photographies, en noir et blanc et en couleur, prises sur les bateaux de pêche dans les années 80-90, où il a su retranscrire la force des marins, la rudesse de leur métier et la beauté sauvage de leur environnement. Ce que Thersi avait perçu sur les îles devenait maximal sur un bateau, écrit René Le Bihan, ancien conservateur du musée des Beaux-Arts de Brest. L’isolement, le partage, la solidarité. S’ajoutent encore l’intensité du travail, la fatigue, la lassitude.


C’est tout le milieu maritime qui est décrit sans fard, dans l’action, la fraternité, mais aussi l’hébétude du marin, l’épuisement de l’équipage.
À voir aussi dix portraits iconiques en noir et blanc, grand format, réalisés en studio, issus de la série Portraits de Pont-Aven 1967-1973. Il adorait les visages constellés de pikoù-panez (taches de rousseurs), ça accroche la lumière disait-il.
Dans une relation de respect, de familiarité, et en prenant son temps, Thersi touche l’intimité des personnes, au quotidien. Des portraits simples, emprunts d’humanité. C’est son tour de force, nous dit Guy Hersant, photographe. Il arrivait à mettre les gens en confiance et ne prenait jamais de photo volée. Dans les regards, il montre le non-dit et la lumière. Cette approche-là dépasse les frontières de la Bretagne. Dans ces yeux, on touche à l’universel.

>>> une exposition de la galerie Le Lieu à Lorient

Sur les chemins de Thersiquel

par Marcel Le Lamer

Président de l'Association des amis de Michel Thersiquel
Pérégrination en trois étapes écrite à l'occasion de l'expo Thersi et la mer

C’est en sortant de lui-même, en se heurtant à la vie, en se frottant à autrui, parfois de manière tumultueuse, que Michel Thersiquel va se construire et devenir un photographe majeur.
Le périple commence avant le service militaire. Félix Le Garrec, photographe, le reçoit en apprentissage. C’est le premier envol du jeune gerfaut hors du charnier natal, pour parler poète, mais il va être déterminant.


La technique, pour une bonne part, le jeune Michel la possède : il a œuvré dès l’adolescence dans le labo de René, son père photographe. L’important va se jouer ailleurs. Car Félix est un patron ouvert aux novations. A t-il rapidement senti chez son apprenti un talent prometteur ? Il le laisse très libre dans ses travaux, l’encourage. Thersiquel va bénéficier de cette confiance. Jusqu’à guérir de sa timidité profonde ? Non ! Beaucoup mieux ! Cette timidité, il va apprendre à s’en inspirer intelligemment, à s’en servir dans ses rapports aux gens.
Car, autre particularité de cette singulière première expérience : il est plongé dans une contrée toute nouvelle pour lui. On est, en effet, en plein Pays bigouden, bien différent du bourg rural où il est né. La tradition bigoudène impose patience et humilité : on n’aime pas beaucoup ceux qui bousculent impoliment rites et rituels, arrivant là comme en pays conquis, ou ceux qui chiffonnent la fierté locale. Bientôt Pierre-Jakez Hélias se fera le chantre de ce puissant Cheval d’orgueil, noblesse d’âme de ce territoire.
Ça tombe bien, le jeune Michel n’a pas de ces incorrections. Il s’introduira donc aisément dans l’intimité des familles bigoudènes. Conquis, Thersiquel reviendra régulièrement arpenter ce far-ouest. Il en fera la matière d’une création magistrale qui, pour une bonne part, reste encore à explorer.
Ces premières expériences le confortent dans son ambition photographique.

Il veut désormais assumer publiquement sa passion et décide, à 22 ans, d’ouvrir boutique à Pont-Aven. Il ignore comment cette décision va bouleverser radicalement sa vie ! Car il arrive, une fois encore, dans un univers totalement nouveau. Il peut paraître étonnant au lecteur de parler ainsi de terroirs fortement différenciés, alors que quelques dizaines de kilomètres seulement les séparent. Cela tient de notre propension bien paresseuse à généraliser: parler de LA Bretagne comme entité uniforme, par exemple. Il coexiste en Bretagne une grande diversité de Pays possédant chacun une très riche tradition culturelle. Frottements nouveaux donc ! Et décisifs ! Car la Cité des Peintres, au riche passé, attire en ces années 60-70 des artistes à fort tempérament. Au bar de Nicole Correlleau, la dernière grande hôtesse, on échange et on refait le monde. Glenmor, le barde, voix de gauloises sans filtres, tonitruante, exige que ce pays retrouve sa fierté. Xavier Grall, le poète-écrivain, plume lyrique et généreuse, rêve de réveiller la belle endormie. Georges Perros aime à secouer la langue et rejoint régulièrement peintres, chanteurs et artistes de tous horizons en pleine émulation créatrice.

C’est dans cette ébullition constante que le jeune Michel va se forger, très vite et goulûment, une solide culture. Sous la verrière, puis au labo, Thersiquel travaille assidûment : bientôt apparaissent en vitrine les portraits - aujourd’hui iconiques - qui vont le rendre célèbre. Suivront rapidement des expositions d’importance. Dès 1972 la Bibliothèque Nationale de France l’expose, à côté des noms célèbres de la photographie française. Michel Thersiquel est devenu Thersi. L’apocope amicale fera désormais office de signature.


C’est en allant vers la mer que le fleuve reste fidèle à sa source Jean Jaurès

Thersi s’est fait un nom, un renom, et s’est forgé une patte singulière dans la photographie.
Mais il ne veut pas se laisser enfermer dans ses productions séminales, les portraits remarquables qui lui ont valu d’être encensé si jeune par ses pairs. Il va conserver, bien entendu, les exigences qui en font leur excellence : lumière brillamment maîtrisée, cadrage parfait, composition habile, et, toujours, perfection des tirages. Et garder aussi cette touche si particulière : on reste au plus près des modèles, dans la profondeur de leur humanité révélée. Son passage en Pays bigouden, son séjour à Pont-Aven, l’ont rapproché de cette autre composante essentielle du pays, peu familière au monde rural. Un univers qui ne se laisse pas dompter à la hussarde : l’Océan ! Nouveau défi, mais les aventures précédentes l’y préparaient. Cet univers maritime où il faut être accepté, faire montre de modestie, lui convient parfaitement : entre taiseux, chez nous, on cause beaucoup !

Thersi, peu à l’aise en société, ne respire bien que dans un milieu matriciel, condition pour lui de la belle image à venir, où se révèle l’humanité dans toute sa profondeur et sa beauté. Le monde marin ne manque pas de ces cocons nécessaires à l’éclosion de l’œuvre. Le bateau lui-même, et ses contiguïtés partagées, sur le pont au travail, pendant les repas, dans la proximité des bannettes. Et plus encore dans les bistrots après débarquement ! Il se blottira régulièrement dans d’autres girons: les îles bretonnes. La mer ne le quittera plus: elle a permis de combler ce qui manquait à son désir de couvrir la diversité bretonne.


Retour aux sources

En 1973, Thersi quitte le Pays de Gauguin et retourne à Bannalec, le bourg rural qui l’a vu naître. Là où tout a commencé. C’est de cette maison, attenante au labo paternel où il fit ses premières armes, qu’il continuera désormais à partir sur les chemins. Il n’oublie rien du passé qui l’a construit. Mais une nouvelle passion l’occupera pendant plus de dix ans : balayer l’immensité de l’estran et nos rivages, remonter fleuves et rivières bretonnes jusqu’aux fontaines qui matérialisent leurs sources. Retour aux sources n’est donc pas une formule anodine : c’est le titre, choisi par lui, d’un ouvrage important qu’il projetait de publier sur cet imposant travail.

Son œuvre, aujourd’hui rendue familière par les multiples expositions et parutions, possède quelques particularités. S’y croisent et entrecroisent de manière inextricable son tempérament personnel, son éthique humaine et sa conception esthétique.

C’est tout cela ensemble que le visiteur sent et ressent devant ses photos, beauté, émotions fortes, et proximité humaine. Ces multiples sensations s’expliquent peut-être par un trait singulier de ses créations. Thersi n’est pas homme à forcer les rires ou les pleurs de ses modèles. Il fuit la facticité de l’époque : la tyrannie du bonheur obligatoire. Ses photos ne sont pas une collection d’émoticônes ou de smileys, ces signes qui imposent une unicité de sens aux mal-voyants que nous sommes. Thersi ne nous assomme pas d’injonctions de lectures univoques. Il nous laisse notre propre intelligence interprétative: un luxe dans cette époque saturée d’images ! C’est ainsi que se déploient nos propres émotions, notre imagination, notre mémoire. Nous sommes totalement libres de lire l’intimité dissimulée derrière l’apparence. Que nous cachent donc ces visages ? Quels mystères ? Quelles fiertés de vivre ? Quelles souffrances secrètes ?

C’est le tour de force de ce photographe des profondeurs: la vie ordinaire qu’il montre nous transforme en spectateur actif et interrogateur. Du coup, nous partageons l’humaine condition ainsi dévoilée. N’est-ce pas ce que la critique appelle l’universalité de la belle œuvre ?

REPORTAGE

Les Dames en coiffe

Des talents et des gens (1977 - 13’)

de Paul André Picton (FR3 Bretagne)

NB : L'INA propose le sujet trois fois d’affilée (d’où un affichage à 39’). Nous avons calé ci contre un player in-out proposant la meilleure qualité vidéo.

À l’occasion de la sortie de son livre Les Dames en coiffe, Michel Thersiquel, le photographe des Bigoudens, parle de son travail de photographe. Il explique comment il établit le contact avec celles et ceux qu'il photographie.
En photographiant ces bigoudènes coiffées, Thersi se tient au chevet d’un monde en voie de disparition. 1977 est le moment de bascule, d’arrachement à un monde ancien qui avait déjà vacillé sous le coup de deux guerres meurtrières, et l’avènement d’un autre, fait de matières synthétiques, d’optimisation numérique et de pulsions de rejet, voire de violence de la part d’un peuple qui avait cru, au temps des Trente Glorieuses, accéder à un bonheur garanti.

L’œil de Thersi caresse ces femmes, il s’approche d’elles, en empathie, en même temps qu’il fait un travail d’anthropologie. L'on découvre ici qu'il photographiait aussi des galets et des caravanes, différenciant la colonisation naturelle des galets de celle d'éléments étrangers, les caravanes.

BIOGRAPHIE

MICHEL THERSIQUEL dit Thersi

Thersi autoportrait

1944 - 2007

C’est son séjour de huit ans à Pont-Aven qui va transformer Michel Thersiquel en Thersi. En 1966, il s’installe, près du pont. Sous les toits, une verrière orientée nord-ouest. C’est là que ce fils de photographe-horloger de Bannalec va produire les portraits qui immédiatement vont le rendre célèbre. C’est dans la cité des peintres, au frottement des chanteurs-écrivains-poètes en pleine création, qu’il se forge une solide culture artistique et qu’il se construit un style, un nom et un renom.
Encensé tout jeune par ses pairs, des expos vont suivre, en Bretagne, à Paris et à l’étranger.

Pendant plus de quarante ans, Thersi va magistralement photographier la matière bretonne. Les artistes, ses amis, bien sûr, mais aussi et surtout les humbles, les oubliés de l’histoire : paysans, marins-pêcheurs, artisans, dames du pays Bigouden... Des milliers de témoignages, une inouïe saga de son pays, une immense fresque vivante. Bien au-delà des apparences, Thersi, cette espèce de rôdeur magnifique, sait y capter des images d’une vérité absolue.

À chaque fois, on se demande comment tant de connivence a pu naître entre le photographe et ceux qu’il rencontre... c’est cela le secret de Thersi.

REVUE DU WEB

L'humanité et la tendresse

FRANCE 3 BRETAGNE >>> L'humanité et la tendresse de Michel Thersiquel saisissent dans la première rétrospective sur l'œuvre de ce photographe breton disparu en 2007 à l'âge de 63 ans.

LE TÉLÉGRAMME >>> Conservé à Douarnenez depuis 2012, le fonds d'atelier de Michel Thersiquel comprend 70 000 clichés. Le Port-musée travaille encore et toujours à son inventaire et sa numérisation. Sur l'homme, il y aurait aussi beaucoup de choses à dire, et c'est précisément l’intérêt et le but des soirées mémoire organisées : se retrouver nombreux, ceux qui ont connu ou approché l'animal Thersi.

COMMENTAIRES

    Artistes cités sur cette page

    Thersi autoportrait

    Thersi

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