Road thérapie

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Lorsqu’on est parent, il vient un temps où les enfants deviennent adultes et partent loin, mettent un terme à deux bonnes décennies de vie en famille, parfois fusionnelle. Si pour l’enfant c’est un envol, pour le parent c’est un moment plus délicat, car avec ce terme arrivent aussi les signes avant-coureurs de la vieillesse, d’une péremption annoncée.

C’est ce papa blues que Bertrand Latouche aborde dans À la légère, de manière sensible et pudique, entouré de ses copains qui eux aussi voient la roue du temps qui tourne. Ensemble ils s’en vont par les routes de campagne, prétextant la livraison d’un piano à sa fille désormais installée à Montpellier, et, chemin faisant, explorent leurs émotions.

Une road thérapie douce comme l’amitié et torturée par l’angoisse de la fin des haricots. À la légère prend le temps de savourer l’instant présent, de laisser venir la drôlesse, de regarder la lumière changer au fil des heures… Un régal.

BANDE-ANNONCE

À LA LÉGÈRE

de Bertrand Latouche (2020 - 68’)

Retrouvez ici la bande annonce de cette oeuvre (les droits de diffusion sur KuB sont arrivés à échéance).

Quand sa fille s'envole du nid, Bertrand Latouche reste seul avec ses questions angoissantes. Comment va-t-elle se débrouiller dans la vie ? Que lui a-t-il transmis ? Au prétexte d'un piano à lui livrer à l'autre bout de la France, il appelle trois vieux copains, pères eux aussi, parce qu’il se dit qu’ils ne seront pas trop de quatre pour dire quelque chose qui compte. À la légère est un film de voyage, un partage d’expérience. Un film comme un héritage, pour livrer un peu plus qu’un piano. Pour transmettre une partition.

>>> un film produit par Estelle Robin You Les films du balibari

INTENTION

Huis clos mobile

les copains en camion à la légère

par Bertrand Latouche

Voici donc un road movie et une comédie musicale, le tout enveloppé dans une proposition documentaire. Avec ce sujet, je ne cherche pas à être représentatif d’une époque ou d’un milieu, je crée juste un cadre à l’intérieur duquel les protagonistes agissent comme ils l’entendent.
Il y a un écrivain mélancolique et alcoolique repenti, un cinéaste poète poursuivi par des huissiers, un barman anarchiste plus tenté par l'amour que par le profit, et moi, réalisateur sur le tard qui calme ses angoisses à coup d’anxiolytiques, de chupa chups et autres sucreries au parfum d’enfance. Nous avons en commun de n’avoir pas les moyens de léguer autre chose qu'un film à nos enfants et d’y trouver plus de richesse que de laisser derrière nous un compte en banque bien garni. J’ai choisi ces trois-là, pour leur bienveillance et leur douceur, pour leur sens de l’autodérision, pour leur éloquence aussi, pour leur sincérité et leur humour et parce qu'ils ont accepté tout simplement d'être les anti-héros d'une entreprise finalement assez héroïque.

À la légère est un huis clos mobile, ralenti par un fourgon en surcharge qui traverse la France en empruntant des chemins de traverse. Le mouvement du voyage est ici, paradoxalement, un moyen de s’arrêter sur nos vies. Loin des sollicitations de notre quotidien, cette route, faite de camping sauvage, de fatigue accumulée, d’hygiène minimum, de relation 24h/24 crée un moment privilégié pour une introspection. C’est sans doute aussi l’occasion de tomber les masques et de découvrir, en les nommant, des aspects de nous-mêmes que nous ignorons.


Lettre à l'enfant qu'on a été

Les petites routes et les paysages défilent et on devise ensemble. On se trompe de route parfois, on s’arrête souvent pour boire, manger ou dormir. Pour se baigner comme des gosses dans le courant glacé d’un torrent. Pour rembobiner les années qui ont passé, le temps d’une pause pique-nique sur les quais d’une gare désaffectée, sous une pendule aux aiguilles figées. Pour écrire une lettre à l’enfant qu’on a été, pour le prévenir de ce qui l’attend puisque maintenant, on sait. Et aussi –surtout ?- pour évoquer leurs propres pères, souvent trop silencieux, parfois mal-aimants, parfois les deux.
Eux-mêmes, à leur tour devenus pères, ont choisi d’écrire une partition à leur descendance, c’est plus aimable qu’une notice.

Je crois qu’une intimité peut parler à une autre. Sans qu’il soit besoin de convoquer des personnages-échantillons représentatifs d’une société contemporaine dont j’aurais bien du mal à dessiner les contours. Donc, je filme mes amis. Qui ne correspondent qu'à ma bulle sociologique. Je le sais. Et en même temps mon intention n'est pas de faire un film documenté ou à thèse, mais de raconter une histoire, une sorte de chronique, éloquente, sensible et drôle - je l’espère - qui ébranle la figure héroïque du père et met à jour des questions existentielles communes au genre humain et des réponses originales (ou non) sur la manière dont on se débrouille avec la vie.

Faire chanter les amateurs que nous sommes me permet de nous sortir de notre zone de confort pour être plus vrai en utilisant, paradoxalement, le moyen le plus artificiel de la représentation du vivant au cinéma : la comédie musicale.

C’est sur le tournage de mon film précédent que j’ai découvert qu’un des protagonistes, Jean-Luc Grandperret, jouait de la guitare et de l’harmonica, avec une prédilection pour le registre du blues. Je lui ai donc proposé de composer la musique du film et la chanson finale, qu’il interprète. Nous avons rêvé ce film ensemble avec la volonté que chansons et narration documentaire se répondent intimement. On glisse du play-back, pour la première chanson, vers la comédie musicale documentaire en faisant interpréter des chansons en live avec un instrumental seul lancé dans le décor. Jean-Luc, le compositeur, était présent sur le tournage - casque HF sur les oreilles - prêt à écrire des chansons courtes, sortes de virgules narratives, basées sur les dialogues entre les protagonistes du film. Ces improvisations introductives ou conclusives des séquences, comme des croquis de voyage, permettent d’ouvrir encore davantage la comédie musicale à l’espace du documentaire, pour être au plus proche du vivant.

BIOGRAPHIE

Bertrand Latouche

latouche road trip

Viré de quelques écoles, le bac de justesse, deux ans de Beaux-arts et un film d’école, puis deux ans comme objecteur de conscience avec un casque sur les oreilles à écouter Léo Ferré, Bertrand Latouche est essentiellement autodidacte. Un début de carrière comme réalisateur de deux courts métrages de fiction qui le laissent insatisfait, puis très vite et sans rien y connaître, il prend une caméra AATON sur un documentaire de Sophie Averty.


Un film désargenté tourné en super 16 avec neuf boîtes de pellicule. Quelques prix en festival lancent sa carrière de chef opérateur. Les collaborations s’égrènent au fil des années entre documentaires, courts métrages, muséographie et films d’entreprise. Avec la démocratisation de l’étalonnage Bertrand Latouche ajoute cette corde à son arc, d’autant que le métier d’étalonneur lui semble intimement lié à celui de chef opérateur. La vie passant, le voilà avec un désir de film, Les œuvres vives, l’occasion pour lui de se lancer dans le documentaire, de s’entourer de collègues talentueux et de filmer les gens qu’il aime. Ce film est un déclencheur et réactualise des notes empilées au fil des années, des histoires à raconter. Il écrit alors À la légère.

REVUE DU WEB

Les copains d'abord

LA PLATEFORME >>> Je ne sais pas si c’était un film ambitieux ou risqué. J’ai en tous cas, heureusement, une dose d’inconscience suffisante pour ne pas me poser la question d’un film en ces termes. C’est en tous les cas un film inhabituel, ça oui, qui demande des moyens inhabituels que nous n’avons pas réussi à réunir pour l’heure. Cela pose un certain nombre de problèmes, et de questions directes et indirectes sur la possibilité d’un film.

FRANCE 3 >>> Le réalisateur Bertrand Latouche réunit ses trois meilleurs amis pour convoyer le piano de sa fille à Montpellier en camion. En route, les quatre pères se demandent à quoi ils pourraient bien être utiles, maintenant que leurs enfants sont grands.

TÉLÉRAMA >>> Je n’ai pas eu l’impression de faire un choix risqué, jusqu’à ce qu’on me le dise et qu’on me refuse des subventions à ce titre. Cela m’a beaucoup étonné. Je pensais qu’il s’agissait d’un vieux débat des années 1970. On me retournait ce choix d’hybridation comme une critique. Au fond, le documentaire et la fiction poursuivent le même but : raconter une histoire. Je dois avoir une sacrée dose d’inconscience pour me lancer dans de tels projets

COMMENTAIRES

  • 13 Mars 2023 21:08 - Céline

    Ah que c'est bon d'être invitée dans l'intimité de ces quatre hommes. D'une certaine manière en dehors de toute représentation malgré la caméra. Le voyage en amitié favorise la confidence. Entre questions existentielles, discussions philosophiques et égarements, qu'il est bon de traverser la France aux côtés de ces pères touchants et drôles.
    Décidément je l'aime beaucoup la petite chanson des gens qui doutent.

  • 24 Janvier 2023 12:25 - Sallaberry

    Très joli road trip, avec des humains touchants qui parlent de leurs fêlures sans détour, paysages lumineux et jolies chansons, le bonheur !!!

  • 11 Septembre 2022 14:38 - Jérôme

    Superbe mise en abîmes de la fragilité de l humain et celle de la nature derrière leurs apparentes solidités. Merci pour ce beau voyage, ces belles images, la sincérité dans l approche. Père de 3 filles, je me retrouve dans vos souvenirs. Votre road prend aux tripes !

  • 8 Septembre 2022 08:27 - Flo Jadot

    J’ai eu les larmes aux yeux !! Par l’émotion et l’humour. Je souhaiterai le diffuser à l’occasion d’un ciné jardin débat, suis en cours d’installation dans la ferme familiale de retour dans les Ardennes !!

  • 5 Septembre 2022 22:40 - annick madouas

    Formidable, sensible, drôle. Un très bon moment. Et puis la France est belle, on aimerait avoir l'itinéraire. Et j'aimerais avoir un de ces pères là..bravo

Artistes cités sur cette page

Bertrand Latouche réalisateur

Bertrand Latouche

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