Les parties du tout

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Au moment où Barbet Schroeder sort au cinéma son documentaire Ricardo et la peinture, fondé sur une longue amitié fidèle à l’œuvre du peintre argentin installé dans le Finistère, il est temps de revenir sur le portrait qu’Isabelle Rèbre en a fait en 2013 et dont Schroeder avait été le premier spectateur.

Voici donc Ricardo Cavallo ou le rêve de l'épervier suivi d’un entretien avec Schroeder à propos de ce film où l'on voit Ricardo sortir d’une grotte, son chevalet en plein vent posé sur les rochers battus par les vagues. Le film pose d’emblée son sens du cadre, un cadre qui ne cherche pas à couvrir mais bien à séparer le champ du hors-champ. C’est quoi ton cadre ? est d’ailleurs la première question de la réalisatrice au peintre. Le cadre, et la lumière. Elle, Isabelle Rèbre, filme le remue-ménage de la lumière sur le littoral costarmoricain, la palette des verts-bleus qui fusent sur l’eau, les cieux, la terre. Son film produit des images d’un autre temps, celui des impressionnistes dans lequel Ricardo se reconnaît, se plaît. L’homme vit dans une simplicité volontaire, vit dans une aridité monastique, entouré d’images de ses parents, élevées au rang d’icônes. L’on sent que l’expérience du film, la présence de cette femme qui le filme… tout cela l’émeut, lui le solitaire, seul encore face à la caméra. La réalisatrice, Isabelle Rèbre, devient effectivement l’autre personnage du film, celle qui porte le regard et assemble les parties du tout. Lui se plaint de rester le seul à se fouler pour dire quelque chose de substantiel. À eux deux, ils produisent un film dense et beau, existentiel.

FILM

RICARDO CAVALLO OU LE RÊVE DE L'ÉPERVIER

un documentaire d’Isabelle Rèbre (2013-52')

Le peintre Ricardo Cavallo, argentin exilé en France, s’est installé dans le Finistère où il s’est entouré d’élèves. Quelle que soit la couleur du ciel, Cavallo plante son chevalet dans une sorte de bout du monde face à l’océan ou au pied du viaduc de Morlaix. Et si, à travers ces paysages, il cherchait à retrouver des traits connus, un passé enfoui ? Peut-être, que tous ces décors, ces paysages ne sont là que pour mieux cacher un visage qui est au centre de sa cathédrale…
>>> un film produit par Colette Quesson À perte de vue et Senso Films.

INTERVIEW

Barbet Schroeder, premier spectateur

par Isabelle Rèbre

Quand j’ai rencontré Ricardo Cavallo en 2012 et que j’ai commencé à le filmer, il m’a parlé de Barbet Schroeder comme étant l'un de ses premiers collectionneurs. Je le connaissais comme réalisateur et producteur et je me souviens l’avoir appelé lorsque j’étais en montage. Ricardo m’avait prévenu qu’il ne voudrait pas voir le film fini, qu’il ne s’y connaissait pas en cinéma et qu’il ne pouvait être juge d’un portrait de lui. Il préférait le voir par les yeux des autres, par ce que ses proches en diraient. Barbet Schroeder a ainsi été un des premiers spectateurs de Ricardo ou le rêve de l’épervier. Ses retours très élogieux avaient apaisé Cavallo. À ce moment-là, j’ai rappelé Schroeder pour lui demander de participer aux bonus du DVD que préparaient alors les éditions de l’Oeil. Dans l’entretien, il avait pointé la difficulté de filmer la peinture sans la morceler, en respectant le cadre du peintre, comme le recommandait Jean-Marie Straub. En faisant le choix de suivre le processus de fabrication, mon film disait-il esquissait une solution, permettant ainsi de saisir à la fois les détails, à travers chaque carré isolé, et la révélation que constituait la recomposition de l’ensemble. Il évoquait une démarche profondément picturale qui laissait une ouverture à l’imaginaire. Schroeder avait tout à fait conscience que j’avais capté un moment essentiel de l’œuvre du peintre, où celui-ci avait peint l’océan sur le motif, se confrontant malgré tous les dangers à la violence des éléments.

en bas à droite : Barbet Schroeder filme l'exposition de Ricardo Cavallo au Domaine de Kerguehennec, un plan-séquence de 14 mn.

BIOGRAPHIES

Ricardo Cavallo

Ricardo Cavallo

Né en 1954 à Buenos Aires en Argentine, Ricardo Cavallo est le dernier-né d’une famille modeste de trois garçons. Jeune adulte, il peine avec la réalité du monde et songe à devenir moine ; ses parents, eux, l’imaginent dans la nature tant la vision des animaux de la pampa le met en joie. Qu’à cela ne tienne, il se lance dans des études de vétérinaire. Un jour de cours d’anatomie, deux hommes en blanc emmènent un cheval dont ils tranchent la gorge sous ses yeux (cavallo veut dire « cheval » en espagnol). Il ne s’en remet pas et quitte l’école. Lorsqu’il comprend que la peinture peut être sinon un métier, du moins une vie, son choix est fait. Mais pour devenir peintre, il doit partir de ce pays qui étouffe sous la dictature et quitter ceux qu’il aime.


Certaines ruptures, aussi douloureuses soient-elles, sont nécessaires pour vivre. Son départ pour la France est de celles-là. En exil, il entretient une correspondance passionnée avec sa mère jusqu’à sa mort en 1996. À Paris, il entre aux Beaux-Arts et travaille l’après-midi à l’ambassade d’Argentine pour payer son loyer. Lorsque l’armée l’appelle pour combattre aux Malouines, il déserte et quitte l’ambassade, mais n’oubliera jamais les 700 Argentins tombés dans cette guerre, aux côtés desquels il n’était pas.
À cette période, ce sont les cours de morphologie de Jean-François Debord qui lui font faire des bonds en avant dans l’étude des formes et des structures. Ricardo est de ceux qui pensent que l’âme est la forme du corps. On imagine dès lors les perspectives ouvertes par la compréhension de la structure interne d’un organisme ou l’étude d’une main, dans son rapport avec le bras.

Isabelle Rébre

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© Emilien Awada

Isabelle Rèbre est réalisatrice et écrivaine. Elle a réalisé une dizaine de films dont plusieurs documentaires qui interrogent l’acte de création, parmi lesquels André S. Labarthe de la tête aux pieds (2003), La peinture de Jean Rustin (2007), et Ricardo Cavallo et le rêve de l’épervier (2013). Son premier long-métrage Pollock&Pollock qui retrace la trajectoire de deux frères peintres américains est sorti en salle en 2023. Elle termine actuellement un court-métrage pour une collection sur l’enfant et la banlieue initiée par Périphérie ainsi qu’un film de témoignage sur la mémoire algérienne.

Depuis une dizaine d’années, elle mène une réflexion autour de l’utilisation de la photographie au cinéma dans son lien à la mémoire et au deuil. Elle a publié un essai La dernière photographie. Sarabande de Ingmar Bergman (La lettre volée, 2017) dans lequel elle met au jour une puissance performative des images. Dans un ouvrage à paraître en 2025, elle s’intéresse à des films-essais de Naomi Kawase, Alain Cavalier et David Perlov qui ont valeur de rituels dans des processus de deuil.


Elle est par ailleurs l’auteure de plusieurs textes de fiction pour le théâtre dont Moi quelqu’un (Actes Sud Papier, 1998) ou pour la radio Ton 8 mai 1945 et le mien (France Culture-Publie.net, 2008).

REVUE DU WEB

Le chevalet et la caméra

AGORA VOX, Orélien Péréol >>> Le petit miracle de ce film est qu’Isabelle Rèbre a choisi de filmer, en même temps que Ricardo Cavallo en son travail, l’acte de filmer lui-même et de lui tirer le portrait. Elle nous le donne à voir dans sa relation à elle, dans sa relation à la caméra, dans la solitude, dans l’éloignement de celles et ceux placés dans le cadre de la caméra. Nous ne sommes pas au spectacle de ce travail, nous ne sommes pas au spectacle de cet homme. Nous ne le voyons pas dans la lumière comme le toréro dans l’arène ou le comédien sur le plateau. Nous allons avec lui dans ses lieux difficiles et dangereux. Et si nous le voyons à l’œuvre, ce n’est pas depuis une tribune protégée, ou un fauteuil bien rangé.

FRANCE CULTURE >>> Ricardo et la peinture, c'est une plongée dans le quotidien du peintre, de Buenos Aires au Finistère en passant par Paris et le Pérou, et une traversée de l'histoire de l'art.

OUEST FRANCE >>> PORTRAIT Une figure nerveuse surmontée d'une épaisse touffe de cheveux gris gesticule au fond de la salle des fêtes de Saint-Jean-du-Doigt, les R roulés et l'accent chantant qui l'accompagnent ne laissent aucun doute. Un pantalon et des doigts tachés de peinture le confirment. C'est bien lui, le peintre Ricardo Cavallo, entouré de ses peintures.

COMMENTAIRES

  • 26 Novembre 2023 10:26 - LAUGIER

    Merveilleux film qui pousse à s’interroger et avoir envie de mieux connaître comprendre ce peintre si attachant

CRÉDITS

réalisation Isabelle Rèbre
image Isabelle Rèbre, Emilien Awada
son Isabelle Rèbre, Bruno Auzet
montage Marie-Pomme Carteret
étalonnage Pascal Nowak
générique et conformation Julien Moreux
montage son Kévin Feildel
mixage Yann Legay

production À perte de vue et Senso Films
productrices déléguées Colette Quesson et Maryline Charrier
directeur financier Frédéric Soulier
direction de production Julie Buan
administratrice Jenny Cohen
producteur associé Yann Legay
assistante Agathe Lefèbvre

participation du Centre National de la Cinématographie et de l’image animée

avec le soutien de la Région Bretagne et du CNC, Procirep, l'Angoa, coproduction TV35 Bretagne, Tébéo

Artistes cités sur cette page

Ricardo Cavallo

Ricardo Cavallo

rebre isabelle realisatrice

Isabelle Rèbre

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