Sortir de l'enfermement

raphael marche dans la montagne - première année dehors

La liberté en pleine gueule ? Attention, ça fait mal. Ainsi s’exprime un ex-taulard en liberté conditionnelle avec qui nous cheminons dans les mois qui suivent sa levée d’écrous. Se réhabituer à la lumière, aux espaces, à la présence des autres, tout cela est oppressant pour qui a passé des années en cellule. Et puis, il y a la peur d’y retourner… Je m’dis que je rêve et que je vais me réveiller en prison. Finalement je préférerais être en prison.

Coutumière du milieu carcéral, l'autrice Valérie Manns parvient à tisser une relation de confiance avec ces hommes solitaires et angoissés, aux prises avec une souffrance psychologique dont ils rendent compte à travers, notamment, un journal de bord dont la réalisatrice nous lit des extraits.

Première année dehors témoigne aussi de l’action des travailleurs sociaux, chargés d’accompagner les déviants dans un parcours de réinsertion, quitte à passer à leurs yeux pour de nouveaux matons. Car les ex-détenus restent hantés par leur traumatisme originel, celui qui les a fait basculer dans la violence, prisonniers à vie de leur casier judiciaire.

FILM

PREMIÈRE ANNÉE DEHORS

de Valérie Manns (2019 - 71’)

Trois hommes sortent de prison, après avoir purgé des peines de deux à trente ans. La réalisatrice capte leur première année dehors, sous la forme d’un journal de bord. Norbert, Raphaël et Yemine se confient sur les étapes de cette nouvelle vie. Tout en délicatesse, nous observons comment leurs projets se transforment face à la réalité sociale et affective. Un film qui explore l’empreinte physique et psychique de l’incarcération et les enjeux qui se posent à la sortie de prison. Peut-on réapprendre à être libre ?

>>> un film produit par Clara Vuillermoz, Les Films du Balibari

INTENTION

L’année la plus fragile

Norbert dans le parc - Premiere annee dehors

par Valérie Manns

En 2013, j’ai réalisé un documentaire intitulé Les Enfants perdus, qui relate une histoire de la jeunesse délinquante, de l’Ordonnance de 1945, premier grand texte sur la justice des mineurs, à aujourd’hui. Ce film, dont le récit est porté par le témoignage de sept anciens mineurs délinquants, sur trois générations, de 33 à 70 ans, donne leur point de vue, la façon dont ils ont été pris en charge par l’institution judiciaire et le regard que la société porte sur eux. À partir de là, j’ai eu envie de m’intéresser à ce qui se passe une fois que les détenus sortent de prison. Pendant six mois, un jour par semaine, entre novembre 2015 et avril 2016, je suis allée à la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis, la plus grande cité pénitentiaire d’Europe, pour rencontrer des détenus de moyennes et longues peines. Je leur ai proposé un atelier d’écriture intitulé Je me souviens. De ce travail est né un livre qui rassemble certains de leurs textes, des portraits photographiques et un documentaire sonore. En allant en maison d’arrêt, plus les semaines passaient, plus je mettais du temps à sortir de la détention : le premier jour, il m’a seulement fallu quelques heures, et plus tard, plusieurs jours. Un enfermement de plus en plus oppressant : le dernier jour de l’atelier, j’ai traversé la gigantesque cour qui séparait l’entrée de la prison des bâtiments d’un pas très rapide, puis en courant.


Comment passe-t-on d’un état de détention à celui de liberté ? Pour donner une réalité au processus qui lie l’enfermement à la libération, je souhaitais filmer ces anciens détenus dans les douze premiers mois où ils sont confrontés au monde du dehors, la première année de sortie étant réputée la plus fragile, celle où ils sont les plus susceptibles de replonger. Ce film porte sur la liberté et sur sa privation, sur les traces de l’enfermement, sur ses stigmates. Ce film raconte la façon dont trois anciens détenus tentent de conjurer une impasse humaine, sociale, sécuritaire, en essayant de se reconstruire seuls, avec l’aide de leur famille ou de travailleurs sociaux. J’ai voulu créer un climat de confiance et d’écoute afin que les témoins du film aient envie de partager une expérience humaine et intime, sans m’intéresser à pourquoi ils ont été jugés. Bandits, voyous, braqueurs, dealers, marginaux, criminels… ce sont d’abord et avant tout, face caméra, des hommes qui ont été condamnés à une lourde peine et qui doivent poursuivre une vie dont ils ne maîtrisent plus vraiment les codes.
Avec ce projet, il s’agissait d’arracher la prison à l’imaginaire collectif, aux fantasmes, aux préjugés et aux amalgames pour se concentrer sur les conséquences de l’incarcération décrites par de nombreux sociologues comme relevant de la destruction sociale et mentale. La Cour européenne des droits de l’homme condamne régulièrement la France. Au grand dam de l’institution judiciaire, l’enfermement désocialise, isole, humilie et affaiblit plutôt qu’il ne répare. Selon des chiffres récents, 80 % des détenus sortent sans aucun accompagnement, sortie sèche, et ne savent pas comment passer les épreuves et les obstacles qui jalonnent leur parcours. Malgré ce constat qui ne date pas d’hier, tiré aussi bien par les magistrats que par l’administration pénitentiaire et les services de probation et d’insertion, les sociologues et les personnels de santé, le ministère de la Justice souffre de ne pas pouvoir réformer l’univers pénitentiaire. Ce film est une réflexion ouverte qui témoigne de la nécessité de mettre en place une nouvelle politique carcérale, pour une véritable réinsertion. C’est seulement à ce prix que la lutte contre la violence, l’insécurité et la délinquance pourra commencer à être pertinente. La prison, ce territoire abandonné depuis des décennies, est aujourd’hui un lieu qui met profondément en cause notre pacte républicain.
Parmi mes nombreuses rencontres, les trois anciens détenus que j’ai choisis sont d’âges différents, de 24 à 58 ans, en sortie sèche, en aménagement de peine ou en suivi socio-judiciaire, donc suivi par le service de probation et d’insertion pénitentiaire. Les femmes (3 % de la population carcérale) que j’ai rencontrées ont quant à elle été réticentes à l’idée de s’exposer dans ce film.

BIOGRAPHIE

Valérie Manns

Valérie Manns

Valérie Manns a commencé sa vie professionnelle comme critique de théâtre et de danse, puis comme dramaturge, comédienne de théâtre et autrice de scénarios de fictions et de récits. Depuis une dizaine d’années, elle réalise des films documentaires, notamment avec Simone Veil, une loi pour les femmes, La Saga des écolos, Messieurs les censeurs, bonsoir ! ou encore Les Enfants perdus, sur les jeunes délinquants. Elle s’est également intéressée aux religions, en réalisant deux séries documentaire : Protestants de France et Catholiques de France.

REVUE DU WEB

Difficile réinsertion

SLATE >>> Entretien avec Valérie Manns, sur la réalisation de son documentaire Première année dehors, journal de bord. Elle revient sur sa rencontre avec les détenus, avec les professionnels de la réinsertion et la façon dont elle a travaillé.
NOUVEL OBS >>> Didier Fassin, professeur à Princeton, revient sur ce qui devrait être, pour lui, le vrai scandale des prisons françaises : la surpopulation carcérale et les conditions inhumaines d’incarcération.
LIBÉRATION >>> La France termine l’année sur un nouveau record de détenus et 120 % d’occupation carcérale.
FRANCE CULTURE >>> Le ministère de la Justice s’est donné comme objectif de faciliter l’embauche des détenus. Mais le défi est immense, et l’insertion reste difficile.
FRANCE INFO >>> À l’inverse de la France, la Suède mise sur la réinsertion de ses prisonniers et ferme certaines de ses prisons, faute de détenus.

COMMENTAIRES

    CRÉDITS

    réalisation Valérie Manns
    image Julien Bossé, Nicolas Contant
    son Benoît Canu

    montage Mathieu Bretaud
    musique Jérôme Rebotier

    production Les Films du Balibari - Clara Vuillermoz
    avec la participation de France Télévisions
    avec le soutien de France 2, de la Région Île-de-France, de la Région Pays de la Loire, de la Procirep-Angoa et du CNC

    Artistes cités sur cette page

    Valérie Manns

    Valérie Manns

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