En finir avec l'impérialisme

Manifestation etudiant Ouagadougou

La liste est longue des pays où une oligarchie confisque le pouvoir tout en maintenant une apparence de démocratie. Malgré la pression de l’armée et de milices, des citoyens bravent la peur et se soulèvent pour un rétablissement de l’État de droit.

Être citoyen, ça a du sens ! Jamais la liberté ne s’offrira sur un plateau d’or. Ça n’existe dans l’histoire d’aucun peuple. Ce sont les mots prononcé par Bayala, le héros, avec Madeleine Thiombiano, du film les Enfants de la Révolte.
Nous sommes à Ouagadougou, sur le campus de l’université où des étudiants luttent pour extirper les relents de colonialisme qui persistent dans leur paysage politique.

Depuis plus de dix ans, le réalisateur rennais Émilien Bernard va en Afrique de l’ouest, notamment au Burkina Faso, son pays d’adoption. Son film est habité par la bienveillance qu'il porte à ses personnages, par l’empathie qu’il a su établir avec eux. Il nous plonge dans la lumière, le temps et l’humanité des étudiants de Ouaga.

La démocratie est un combat de tous les jours, partout dans le monde, et il est réjouissant de voir la jeune génération s’emparer du problème, consciente, confiante et courageuse.

BANDE-ANNONCE

LES ENFANTS DE LA RÉVOLTE

par Émilien Bernard (2017)

Retrouvez ici la bande annonce de cette oeuvre (les droits de diffusion sur KuB sont arrivés à échéance).

Au lendemain de la révolte populaire au Burkina Faso, deux étudiants tentent chacun à leur manière de trouver leur place dans ce bouleversement politique. Madeleine, étudiante en droit, souhaite devenir magistrate, tandis que Serge, militant de la première heure, organise la lutte collective. Alors que les premières élections libres approchent, ils vont confronter leur idéal démocratique à la réalité du vote.

>>> un film produit par Thomas Guentch, Les Films de l’Heure Bleue

GENÈSE

Apprendre en faisant

Amphi université Ouagadougou - Les enfants de la révolte

par Émilien Bernard

Mon désir de raconter une histoire avec les étudiants de Ouaga est ancien. J’ai la chance de me rendre au Burkina régulièrement depuis une dizaine d’années, j’ai coutume de dire que c’est mon pays d’adoption. Je me rappelle ma première rencontre avec l’université : j’avais d’emblée été saisi par l’énergie que dégage ce lieu, par l’extraordinaire fourmillement de destins, d’idées, de combats individuels et collectifs. Lorsque l’insurrection populaire a chassé le président à la fin de l’année 2014, je suis parti avec ma caméra, convaincu que l’après s’écrirait et pourrait se raconter auprès d’étudiants.

Le temps fut ma première arme pour développer ce projet. J’ai rencontré Serge assez vite par le Cadre, un lieu de débat dans l’université, dont il est le fondateur. Mais j’ai surtout promené ma gueule de nassara (blanc en mooré) à peu près partout à la fac, puis à la cité étudiante de Kossodo. Durant des semaines, je suis allé de groupe en groupe, me laissant guider par l’instant, mais surtout par la réciprocité de la rencontre. Il fallait que mes personnages me comprennent, et qu’ils aient autant envie du film que moi. Avec Madeleine, cela a été immédiat. Son histoire, ses paroles et tout ce qu’elle dégage était là, dans nos échanges. Mais surtout, mon intuition se confirmait à l’image.

Le tournage s’est étalé sur près de deux années. En tout, j’ai passé cinq mois sur place, seul,


car je souhaitais rester l’unique étranger parmi eux. Je ne tournais pas chaque jour bien sûr, mais je prenais le temps d’être là, simplement, de m’imprégner de leur quotidien, de leurs discussions, de leurs difficultés aussi. À certains moments, je ne pensais plus au film, passant des heures à prendre le thé dans les grains, les lieux où l’on palabre à longueur de journée, uniquement pour mon plaisir. Je crois qu’ils ont senti cet intérêt très personnel.
Ensuite, il faut aussi se mouiller. On ne peut pas demander à quelqu’un de se dévoiler sans le faire soi-même. Du moins, c’est ma méthode. Je vis dans une cour familiale, j’ai un lien particulier avec le Burkina. Inviter mes personnages chez moi, leur présenter mes amis, leur raconter ma vie en France, c’est déjà une manière de créer la confiance. Ils savent que j’ai des attaches, que je ne partirai pas comme un voleur, ils savent où me trouver. Cette sincérité est pour moi essentielle dans un travail documentaire. De la même manière, c’est au Burkina que j’ai montré le film pour la première fois, à l’université, puis à la cité Kossodo. Projeter le film aux premiers concernés produit un stress difficilement descriptible, mais aussi une sensation d’accomplissement formidable lorsqu’il est bien accueilli. Je dois dire malheureusement que beaucoup de réalisateurs ou de journalistes ne prennent pas cette peine... et j’ai pu me rendre compte en tournage que le regard posé sur moi, parfois hostile, découlait de ces mauvaises expériences. Les jeunes burkinabè ont parfois l’impression que les occidentaux exploitent jusqu’à leur misère. Mais comme toujours au Burkina, lorsqu’on prend le temps de l’échange, ces ressentiments tombent.

De l’écriture au dernier cut, je n’aurais rien fait seul. J’ai la chance d’avoir auprès de moi Thomas Guentch, un producteur exigeant, et qui me ramenait sans cesse à mon intention. J’ai ensuite usé deux monteurs ! Trop imprégné de mes émotions de tournage, je suis le plus mauvais juge de mes images ! Il m’a fallu en effet faire un premier montage avec les quatre étudiants que je suivais au début, me rendre compte que j’avais trop de matière disparate, puis choisir de garder seulement Serge et Madeleine, repartir en tournage, puis monter à nouveau avec le regard neuf d’un second monteur. J’ai appris en faisant.

Le film est assez musical. J’aime placer des musiques in dans le film, pour que la couleur musicale soit naturelle, qu’on entende ce qu’écoutent réellement les personnages, des morceaux engagés d’Alpha Blondy aux musiques sentimentales qu’affectionne Madeleine. Mais il y a aussi un morceau de Madou Dembélé, un auteur qui est aussi un ami. Il joue d’un instrument unique qu’il a conçu lui-même, une double Kora, à deux manches. Il faut le voir en jouer comme une harpe ! Et bien sûr, l’hymne du Burkina est présent dans le film, c’est un air qu’on entend chaque matin dans les écoles de tout le pays. Il est repris dans le film à travers un plan séquence avec les étudiants. Les paroles ont été écrites par Thomas Sankara en 1987 et ce qu’elles racontent résonne avec l’actualité. Toute personne qui découvre le Burkina découvre en même temps Sankara. C’est une figure incontournable. Il n’a été au pouvoir que 4 années, mais il a profondément changé le pays (son nom, son hymne...), il a surtout créé un sentiment de fierté nationale très puissant. Il y a bien sûr des zones d’ombres durant cette période, mais le personnage de Sankara reste étonnement moderne. Pour nombre d’étudiants burkinabè, il est un prophète. À l’évidence, il était partout durant l’insurrection de 2014, d’autant que le peuple n’avait jamais pardonné à Compaoré son crime. Pour préciser : Sankara, qui était vraiment intègre, refusait l’enrichissement et la jouissance du pouvoir. Un clan s’est formé pour le renverser, autour de son frère d’arme, Blaise Compaoré. Ce dernier l’a tué, très probablement avec l’accord de la France – même si nous n’aurons jamais les preuves – avant de s’installer 27 ans au pouvoir et de piller les caisses de l’État.

À propos des personnages, je pense que Madeleine est effectivement au cœur du film. Pas parce qu’elle est une femme, mai parce qu’elle est Madeleine ! Plus sérieusement, à travers elle on découvre aussi la condition féminine, notamment au village. Je ne peux pas parler pour les femmes burkinabè, et c’est une question aussi vaste que complexe. Je peux dire simplement que la place des femmes est plutôt meilleure qu’en d’autres endroits (Sankara y est pour beaucoup), mais qu’elles peinent toujours à prendre une parole publique. Comme le dit Madeleine : C’est difficile d’être révolutionnaire, surtout en tant que fille.

BIOGRAPHIE

MADELEINE THIOMBIANO

Madeleine Thiombiano - Les enfants de la révolte

Cheveux ras, silhouette fine, regard sombre, regard dur. Lorsque je l'ai vue grimper sur une chaise, seule fille dans ce meeting, lorsque j'ai entendu la première fois ses mots vibrants, j'ai spontanément été aimanté. Madeleine est née tout à l'est du pays, dans un village frontalier du Togo. Son enfance fut difficile, voire dramatique. Madeleine a connu la misère et les souffrances familiales. Pourtant, sa combativité l'a amené à poursuivre après le bac des études de droit.
Ne parlant pas Mooré – handicap notable à Ouaga, pays des Mossi – Madeleine a beaucoup de difficultés pour s'intégrer dans la capitale. Pourtant, la guerrière, comme aime à l'appeler Pema, n'hésite pas à faire entendre sa voix. S'il y a une chose que Madeleine ne sait pas faire, c'est se taire.


Pour dénoncer les injustices, elle n'a jamais eu peur de prendre position malgré la violence du sexisme ordinaire.
Dans le film, son portrait est celui d'une militante par nécessité. Madeleine n'a rien à perdre. Elle révèle aussi les difficultés que peuvent rencontrer les femmes pour assumer leurs idées politiques au Burkina. Si elle prend part à toutes les manifestations, elle s'éloigne dès qu'elle le peut du tumulte de Kossodo, préférant le calme et la solitude de la brousse, accompagnée seulement d'un livre et de ses écouteurs. Plutôt solitaire, Madeleine ne compte pas beaucoup d'amis. Cela ne l'empêche pas d'inviter ses voisins de chambre à manger le tô, plat traditionnel qu'elle prépare régulièrement.

BIOGRAPHIE

SERGE BAYALA

Serge Bayala en conférence - Les enfants de la révolte

Bayala – comme il est courant de le nommer – est un révolutionnaire, trouvant dans l'action le goût de la lutte. C'est durant des manifestations corsées qu'il s'est fracturé la jambe, deux fois ; depuis plus d'un an, les béquilles entravent ses déplacements.
Issu d'une famille modeste originaire d'un village de la région centrale, le jeune homme est arrivé à Ouagadougou pour les études voilà quatre ans. D'abord résidant à la cité étudiante Kossodo, il a pu louer par la suite un petit logement dans une cour commune, non loin de l'université. Son parcours en quatrième année de Lettres modernes résume assez bien sa véritable passion : les mots.


Panafricain convaincu, Serge est athée – fait rare au Burkina –, considérant la religion comme le plus pur héritage de la colonisation. Grand parleur aux accents parfois sophistes, Serge aime croiser le verbe et c'est pour promouvoir cette libre pensée qu'il a créé un cadre de débat unique, en plein cœur de l'université. Sa petite notoriété lui ouvre des portes. Il est ainsi devenu l'ami des rappeurs et militants Smockey et Sams'K le Jah ; il lui arrive même d'aller saluer la famille de Thomas Sankara, le révolutionnaire burkinabè assassiné en 1987. Dans le film, il m'amène au cœur du débat et de l'action militante, au contact des leaders de la société civile. Autour de lui, Stéphane et Adama sont deux modérateurs récurrents du Cadre, tous deux drôles et extravertis – Adama présente le toc jubilatoire de citer un proverbe africain quasiment toutes les deux phrases.

BIOGRAPHIE

ÉMILIEN BERNARD

Émilien Bernard

Titulaire du diplôme de l'ESRA Bretagne, Émilien Bernard rejoint TV Rennes comme reporter pour des sujets d'actualité. Au cours de plusieurs voyages, notamment en Éthiopie et au Canada, il réalise pour cette télévision plusieurs reportages de moyens formats. Parallèlement, il entreprend chaque année un voyage de deux mois, essentiellement en Afrique, Burkina Faso, Ghana et Togo.
En 2010, il coréalise avec Moussa Traoré un premier documentaire : Rakiiré, une plaisanterie Africaine, largement distribué au Burkina Faso où la première chaîne nationale le programme régulièrement. Il est également projeté lors du festival Passana à Ouagadougou.
Son désir de s'exprimer en tant qu'auteur le pousse à abandonner le journalisme.

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REVUE DU WEB

Génération Sankara

LE MONDE >>> Serge Bayala n’était né que depuis une semaine lorsque son modèle, Thomas Sankara, a été assassiné au Conseil de l’entente, le 15 octobre 1987. À 30 ans, il est l’une des figures emblématiques de cette génération Sankara conçue sous la révolution et dans laquelle ont été puisées les forces vives de l’insurrection d’octobre 2014 qui a abouti à la chute du président Blaise Compaoré.

RFI >>> WEBDOC, Qui a fait tuer Sankara ? Le 15 octobre 1987, Thomas Sankara, le président du Burkina Faso, tombe sous les balles d’un commando. Trente ans après, à Ouagadougou, le souvenir de cet assassinat reste frais dans les mémoires de ses contemporains. Les questions hantent les anciens. RFI est allée à la rencontre de ceux qui étaient là, au moment de la mort puis de l’inhumation du capitaine révolutionnaire.

FRANCE CULTURE >>> Burkina-Faso : L'An I de la révolution (1/5) - Retour sur une insurrection populaire exemplaire.

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    Émilien Bernard

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