Voir en aveugle

Zinzolin - reve - Ruault - banner - hd

Le zinzolin, entre le violet et le rouge, est la couleur préférée de Laurence Vanel. Dans Zinzolin, la réalisatrice Sigrid Ruault se glisse dans les pensées d’une femme qui a perdu la vue, pour produire une représentation de son imaginaire visuel. Une aveugle qui voit, et en couleurs s’il vous plaît car frappée de synesthésie, un trouble de la perception dans lequel plusieurs sens s’associent dans un phénomène neurologique, comme les graphèmes-couleurs, qui convertit les lettres de l’alphabet ou les notes de musique en signes colorés. Dans ses rêves, Laurence voit, avant de retrouver sa cécité au réveil. Sa synesthésie l’invite cependant à sortir de l’invisibilité pour attirer l’œil des voyants.

>>> Une page en partenariat avec L'AFCA

afca kub logo partenaires

FILM

ZINZOLIN

de Sigrid Ruault (2024 - 2’)

Née malvoyante, Laurence Vanel raconte sa plongée progressive vers la cécité en partageant ses pensées qui, contre toute attente, scintillent de couleurs. Portés par la poésie de son témoignage, nous entrons dans la peau d’un malvoyant, évoluant dans un monde où tout passe par la vue.

>>> un film produit au sein de l'Ensemble scolaire Saint-Étienne Cahors

INTENTION

Touché visuel

zinzolin - Ruault - gabarit

Par Sigrid Ruault

Mon documentaire animé est basé sur le témoignage de Laurence Vanel qui a accepté de me parler de son expérience de malvoyante d’abord, puis de non voyante. Zinzolin est à la fois porté par la voix off de Laurence et les images d’un monde irréel. J’ai choisi ce sujet parce que je suis orthoptiste et que je voulais parler de l’invisibilité des personnes déficientes visuelles. J’ai commencé par interviewer plusieurs personnes malvoyantes avant Madame Vanel.

J’ai voulu faire le film avec elle pour qu’il soit plus poétique, comme la promenade d’une jeune femme sans regard dans un environnement qui se colore toujours de plus en plus. Les décors ont été travaillés pour tendre vers ces couleurs éclatantes qui n’ont rien à voir avec celles de notre environnement quotidien.

Dans mon court métrage, j’ai pu mettre en pratique ce que je décrivais dans mon mémoire de fin d’études. Ayant étudié les textures qui transmettent une sensation de touché visuel au spectateur, je les ai reprises, scannées et transformées en brushs digitales pour les intégrer dans mon film où j’utilise aussi les techniques d’animation traditionnelles. Cela me semblait d’autant plus intéressant que mon sujet est la malvoyance et que le toucher est souvent un sens qui vient pallier le déficit visuel.

BIOGRAPHIE

Sigrid Ruault

Ruault - portrait - Gabarit

Sigrid Ruault est née en 1999. En parallèle de son cursus à l’EMCA, l'École de cinéma d’animation d’Angoulême, elle est également orthoptiste. Son premier film, Zinzolin, réunit ces deux spécialités. Après avoir travaillé dans le monde du handicap et de l’accessibilité pour tous, elle retourne à l’école où le monde ne se composait que de voyants et d’aveugles. Par la suite, elle réalise d’autres courts métrages. Son dernier, Pieds nus, parle de consentement et de sororité.

le film étudiant

Entretien

zinzolin - porte - Ruault - gabarit

Quels difficultés avez-vous rencontré dans la réalisation de votre film ?

Ce fut mon premier film et je crois que je ne savais pas trop à quoi je m’attaquais. C’était peut-être mieux comme ça. J’ai beaucoup appris en me lançant dans le grand vide de la réalisation et la production en solo. Je dirais que ce fut la première grosse difficulté : se savoir seule à poser les choix de fabrication. Ce film a été fait dans un cadre scolaire mais mon école était un peu dépassée par nos projets et l’absence de professionnels expérimentés. Ainsi, quand on me demande le lieu de production, j’ai souvent envie de donner l’adresse de mon petit appartement de l’époque et non celle de l’école. 

J’ai eu la chance d'interviewer Laurence Vanel en début de production ; tout le film s’est donc construit autour de son témoignage. La deuxième contrainte fut le temps, comme pour beaucoup de productions d’animation d’ailleurs. Il me restait un mois et je n’avais aucune image, aucun décor, juste sa voix. J’ai donc pris la décision de faire un film très court et de m’appuyer sur des graphismes forts, qui savent parler par eux-mêmes. Brecht Evens m’a sauvé à ce niveau-là. J’ai lu toutes ses BD et j’ai décortiqué chaque plan de Genius Loci. Il avait cette capacité à nous plonger dans une autre réalité avec quelques couleurs et un subtil jeu de transparence. Laurence nous décrivait un monde coloré et unique. Le lien s’est fait de lui-même. J’ai sorti mon fusain, mes encres et mes feutres pour que mes images soient plus texturées les unes que les autres. Je voulais qu’on puisse toucher des yeux ce film, que les décors glissent sous nos doigts. 

C’est à ce moment que je me suis confrontée à la troisième grosse contrainte du film : le mix de médias et de médiums. Il fallait garder une cohérence visuelle tout en offrant une diversité graphique qui rappelle les propos de Laurence. Le compromis s’est donc fait grâce aux couleurs que je voulais vives et nombreuses. J’ai ainsi pu expérimenter la peinture animée, le sable, le fusain, le feutre et l’encre dans le même film. Je crois que ça m’a donné goût à l’animation au banc-titre.


En quoi votre métier d’orthoptiste vous a guidé dans vos choix créatifs ?

Quand je me suis réorientée vers le cinéma d’animation, je m’amusais à faire le lien entre les deux univers. L’orthoptie et le cinéma d’animation. Il y avait le rapport à la vue, le travail conjoint de la main et du regard, la caméra qui devenait l'œil du spectateur… Je donnais quelque chose à voir. Je créais une vision du monde. Qu’avait-elle de plus que ce que l’on voit déjà ? Elle avait de la place pour l’imagination et la poésie. Il n’y a pas de meilleurs outils pour parler de la différence. 

L’une de mes profs et amies orthoptistes m’a donc mis en lien avec Laurence Vanel et, quand elle a commencé à parler dans mon micro, j’ai vu les images défiler sur ses mots. Elle parlait de malvoyance, de cécité, de couleurs, de synesthésie, de deuil et de confiance en soi. Il ne s’agissait plus d’être voyant/non voyant mais bien d’une expérience unique. Elle rayonnait et je sentais, dans son témoignage, qu’on ne parlait plus de handicap mais simplement de récit de vie. C’est ce qui m’a le plus séduite.

Suite à ça, j’ai mis un point d’honneur à m’éloigner de tous ces visuels de sensibilisation à la malvoyance pour plonger dans un monde beaucoup plus abstrait et merveilleux. 

Quelles thématiques et quelles techniques d’animation souhaiteriez-vous aborder dans le futur ?

Je veux continuer à parler de la condition des femmes, de leur récit de vie et de ce qu’elles nous apprennent sur notre propre actualité. Mon dernier film est une autofiction qui traite du consentement et qui met en scène un groupe d’ami.e.s qui s’écoutent et se soutiennent. J’ai pu continuer à travailler au banc-titre et je ne souhaite pas m’arrêter là. Mon nouveau film devrait se finir cet été et, lui aussi, contient des expérimentations au banc-titre. Il traite des femmes mortes dans l’histoire de l’art et, tout particulièrement, d'Elizabeth Siddal, artiste et modèle des préraphaélites. Je ne vous en dit pas plus, j’ai hâte que vous le voyiez. J’ai la chance de le faire avec des animatrices talentueuses et j’aimerais continuer à travailler ainsi : en techniques mixtes, en groupe et sur des thématiques qui ont du sens.

Propos recueillis le 11 avril 2025

REVUE DU WEB

Quand les sens s'emmêlent

FRANCE CULTURE 🎧 (2022) >>> Le cinéma d’animation, de l’ombre à la lumière, une sélection d'archives pour explorer l'histoire de cet art, notamment en France et au Japon, avec des témoignages de Paul Grimault, de Michel Ocelot et des bons génies du studio Ghibli : Hayao Miyazaki et Isao Takhata

JE SUIS NÉ UN JOUR BLEU 📝 (2014 - 300p.) >>> Ouvrage biographique de Daniel Tammet, écrivain et poète anglais, asperger et synesthète

ARTE 🎬 (2025 - 52') >>> Synesthésie, quand les sens s‘emmêlent. Phénomène neurobiologique inné, la synesthésie se manifeste très tôt dans l’enfance. Que dévoile ce phénomène sur le fonctionnement du cerveau ?    

CAIRN 📝 (2013) >>> Revue d’un phénomène étrange : la synesthésie

COMMENTAIRES

    CRÉDITS

    réalisation Sigrid Ruault
    voix off Laurence Varné
    musique The Introvert, Michael Kobrin

    équipe pédagogique B. Lalart, S. Trégou, C. Gannet, JB. Legrand, V. Dagault-Revel, F. Belisario

    produit au sein de l'Ensemble scolaire Saint-Étienne Cahors

    Artistes cités sur cette page

    Ruault - portrait - Gabarit

    Sigrid Ruault

    KuB vous recommande