Sur Terre ou ailleurs

14/01/2026
Repousser les murs
Un groupe bigarré plonge dans une expérience chorégraphique collective. Ils sont jeunes, ont beaucoup à apprendre, poussés par Cathy Charlot, l’initiatrice de Renga 5-7-5.
C’est vraiment bizarre la vie sur Terre ! s’exclame Sahra Cherifi quand elle se retourne sur son passé de jeune adulte éprise de liberté, chanteuse en devenir.
Vivre ! Accueillir ses souffrances, ses angoisses, ne se soucier que de l’instant présent, n’avoir honte de rien. Le corps lourd, le corps qui s’envole, trouver la dynamique, repousser les murs, être présent quand tout s’écroule… avec Sur Terre ou ailleurs, Marc Picavez réalise un film sur les jeunes d’aujourd’hui, entre carpe diem et fin du monde, entre plaisir et angoisse, intégration et situation irrégulière, ils marchent sur un fil tendu vers les étoiles et nous rappellent ce qu’est le bonheur de bâtir ensemble une forme, et de l’incarner.
SUR TERRE OU AILLEURS
SUR TERRE OU AILLEURS
de Marc Picavez (2021 - 52’)
Sahra, 20 ans, rêve de devenir une star. Elle écrit des chansons et intègre la création d’un spectacle amateur : Renga 5-7-5. que Cathy Charlot porte à bout de bras pendant des mois. Réunis autour du projet, de jeunes Nantais et de jeunes exilés croisent les récits de leur parcours. Le réalisateur Marc Picavez les a suivis au fil de cette création sensible.
>>> un film produit par Estelle Robin You des Films du Balibari – Point du jour
Un élan collectif
Un élan collectif
par Marc Picavez



La jeunesse et l’exil sont deux thèmes qui m’animent, me déplacent et m’enrichissent depuis mon premier film tourné dans les banlieues de Dakar, jusqu’au cargo des marins globalisés de Sea is my country. Cette fois, j’ai souhaité questionner ces thématiques sur le territoire de mon quotidien.
Et au contact de la jeunesse, Nantes est une ville vivante, débordante, chahutée, blessée. J’ai commencé par y explorer le quotidien des jeunes exilés. Après avoir récolté de nombreux récits en provenance d’Afrique, du Moyen-Orient ou d’Europe de l’Est, j’ai orienté mon point de vue vers le temps présent et ce nouveau monde en gestation, ici, maintenant.
Tout cela m’a amené à rencontrer Cathy Charlot qui est très investie dans les réseaux d’accueil et d’entraide envers les jeunes exilés. Mais Cathy ne fait rien comme tout le monde. Elle a constitué un groupe qu’elle a emmené une première fois sur scène, pour qu’ils mettent le numérique au service d’une expression artistique. Et cela a révélé l’an passé Charles, Youssouf, Ibrahim, Issiaga et quelques autres. Mais pour Cathy, impossible de les lâcher ensuite. Les liens sont trop forts, cela ne peut pas être un projet sans lendemain. Au contraire, il faut poursuivre et même ouvrir le groupe pour que ce ne soit pas une expérience à part. L’idée du projet RENGA 5-7-5, éloge de la jeunesse est venue de là : proposer à un groupe de jeunes venant d’horizons différents la création d’un spectacle poétique faisant écho à ce qu’ils vivent.
Dès les premières rencontres avec le groupe, j’ai été saisi par leurs personnalités, l’énergie de leurs corps, leurs paroles aiguisées. Chacun a son langage corporel, ses propres mots, mais tous portent en eux des questionnements qui se rejoignent : l’identité, le genre, l’avenir, le lien à la nature. Sur le plateau, ils se soutiennent, s’entraident, se motivent, s’enthousiasment, au point où chaque instant passé avec eux peut évoluer vers une joute chantée ou dansée. Ils ont une capacité à lâcher prise hors du commun. Portés par l’insouciance de l’adolescence et nourris de l’expérience de l’exil, ils sont fascinants.
À leurs côtés, j’ai souhaité réaliser un film enthousiaste, collectif et réjouissant. Je voulais que cette énergie porte le film, sans rien occulter des drames quotidiens, petits et grands, qui se jouent en permanence pour chacun d’entre eux.
Du collectif vers l’intime
J’ai souhaité placer le point de départ de Sur Terre ou ailleurs au cœur du spectacle en création. J’ai commencé par filmer le collectif, sans forcer l’un ou l’autre à exister dans le film. Puis, peu à peu, le film s’émancipe du groupe pour accompagner Sahra, Charles et les autres dans ce qu’ils vivent au quotidien pour s’accomplir et pour trouver leur place. Ainsi leurs histoires personnelles se révèlent au fil du film.
Paroles libres et droit à l’erreur
En dehors du spectacle, on ressent de l’angoisse chez l’un ou l’autre. Quelque part, c’est comme si cette génération n’avait pas le droit à l’erreur. On doit savoir très tôt ce que l’on veut devenir, et atteindre ses objectifs sans perte de temps, dans une forme de rentabilité permanente. Le tout dans un contexte de plus en plus contrôlé, normé, avec des écoles supérieures de plus en plus chères et sélectives, où il faut préalablement maîtriser plusieurs langues et savoir voyager dans le monde réel comme dans le monde virtuel. Imaginées par nos sociétés, ces trajectoires contaminent les jeunesses du Sud, pour qui l’aventure de l’exil devient une forme d’Erasmus désespéré.
Avec Cathy et le projet Renga, il en est tout autrement : chacun peut proposer, essayer. Cette manière de voir les choses est aussi un questionnement que le film soulève : pas besoin de rentrer dans des cases, on réclame le droit d’être ce que l’on est. Dès lors, le film se fait la caisse de résonance des questions que se pose cette génération : l’identité que l’on porte, l’émancipation personnelle que l’on souhaite, l’exil, le travail, le genre et la sexualité.
Au final, la liberté qu’ils ont dans l’écriture du spectacle a pour écho celle que le film accorde à leur parole. Leurs histoires au présent sont le présage d’un monde nouveau, au-delà des galères de la précarité ou de l’exil, au cœur des incertitudes du passage à l’âge adulte. C’est ce souffle qui porte le film.
Marc Picavez
Marc Picavez

Après des études croisées d’anthropologie et de cinéma documentaire, Marc Picavez co-réalise avec Massaër Dieng un premier film de fiction Bul déconné ! tourné dans les banlieues de Dakar et présenté dans de nombreux festivals. Il réalise ensuite plusieurs courts-métrages sélectionnés dans des festivals internationaux. Seamen’s Club, sa 1ère exposition personnelle, est présentée dans différents centres d’art contemporain. En 2016, il réalise le film documentaire Sea is my country, en coproduction avec Arte France, et Yaadikoone, court métrage de fiction tourné à nouveau au Sénégal et diffusé lui aussi en festivals et à la télévision. Marc crée le festival de cinéma Zones Portuaires à Saint-Nazaire et poursuit ses explorations documentaires (Minéral, 2018 ; Sur terre ou ailleurs, 2021). Il développe aujourd’hui son premier long métrage de fiction La légende de Louis Fall, produit par Nicolas de Rosanbo et Céline Vanlint pour Eddy Cinéma. Enfin, Marc vient de terminer Le Roi et l’Empereur bientôt diffusé sur France 2.
Jeunesse nantaise
Jeunesse nantaise
LES STUDIOS BELLARUE 17 >>> 12 min avec - CATHERINE CHARLOT
FRANCE 3 >>> Décryptage du documentaire Sur Terre ou ailleurs, un autoportrait d’une jeunesse invisible qui ne compte plus le rester très longtemps !
VLIPP >>> Sahra Cherifi, la chanteuse du groupe Zéphir Alphonse parle de sa musique, de ses textes et de la création du groupe.
22 janvier 2025 22:29 - Martin
Bravo !
Magnifique de voir la jeunesse aussi vivante.