Pas un bruit
10/12/2025
Dans une grande salle au fond d’une grotte, entre stalactites et stalagmites, quatre femmes chantent une mélodie envoûtante : Ô fontaine / Ô rivière / Ô nuit / Célébrer l'obscurité / Après cet aride jour / S'immerger dans ce méandre / Et s'apaiser avant l'aube. Le groupe s’appelle Bacchantes, comme celles qui furent dans l’Antiquité les disciples de Dionysos, à la fois prêtresses et femmes débauchées.
Nous sommes en concert à Ribadesella dans les Asturies (Espagne) et les voix de Bacchantes se projettent sur les parois millénaires, lissées et façonnées par le ruissellement souterrain des eaux tombées du ciel.
Concert-performance où le son musical a été mixé avec l’ambiance des lieux et diffusé dans des casques audios dont le public était équipé. Une expérience fascinante, à la hauteur de la proposition musicale de ce groupe féminin singulier.
Ô FONTAINE
Ô FONTAINE
de Bacchantes (2023 - 3')
Ô Fontaine a été enregistré en octobre 2023 à La Cuevona de Ardines, Ribadesella, Asturies (Espagne) sur l’invitation de Mónica Cofiño pour le festival La Xata la Rifa.
Trois cents marches à flanc de colline pour accéder à une galerie et à la grotte, le matériel à bout de bras et sur le dos. La grande salle, haute de 40 mètres de plafond, éclairée par un puits de lumière. À l’abri, dans un ventre, 120 personnes, chacune munie d’un casque par lequel elles perçoiven, en même temps que la musique, les sons de la grotte captés par Javier Álvarez, au moyen de micros placés dans différentes cavités.
Ô Fontaine est issu du nouvel album, Pas un Bruit, paru sur le label Figures Libres Records, le 11 octobre 2024.
Virtuose et limpide
Virtuose et limpide
L’écrivaine Nathalie Burel nous partage son point de vue sur l’album Pas un bruit.
Pas un bruit est un album virtuose et limpide, un conte, une prophétie et un appel.
Une expérience comme un défi, d’abord pour celles qui le font. Comment faire ensemble et comment exister chacune, autant, à part entière, dans ce tout ? Façonner un lieu commun, laisser advenir la rencontre, quand les géographies, les univers pourraient tenir à distance ?
Un lieu à soi qui n’est pas une juxtaposition mais une noce. Celle des voix bien sûr, car toutes chantent et chacune a sa voix, Bacchantes est alors une voix faite de toutes ces voix. Mais également l’instrumentarium, dont chacune des quatre artistes s’empare. Dans ce deuxième album, il s’est largement étoffé, offrant la possibilité de nouvelles textures, sans faire perdre cette impression intime et puissante de communion découverte avec Bacchantes en 2021.
C’est amusant aussi de réaliser comment le pragmatique peut écrire un peu l’esthétique dans l’histoire de ce disque. Parce qu’Amélie Grosselin, Claire Grupallo, Astrid Radigue et Faustine Seilman habitent loin les unes des autres, l’écriture, admettra le temps long et s’adaptera au rythme des rencontres espacées et intenses qui obligent à la disponibilité entière aux autres et à la fulgurance.
Cet abandon créatif n’est possible que dans une confiance pleine accordée à celui qui enregistre. Bacchantes a donc une nouvelle fois fait appel à Étienne Foyer, également ingénieur son de leurs concerts, pour l’enregistrement de ce nouvel album, au studio L’Adventice. Un résultat produit, parfois arrangé, mixé avec sensibilité par Jonathan Seilman qui a su emmener les morceaux légèrement ailleurs, les révéler, sans aucunement les trahir.
Pas un bruit n’appartient à rien de déjà entendu, ni genre, ni espace, ni époque : une voie à soi, électrique ou acoustique, bruitiste ou mélodique.
Ce lieu à soi, rien qu’à elles, est le défi à l’auditeur : accepter l’in-oui. Accepter d’être surpris d’emblée et sans cesse, amené dans des contrées nouvelles.
Le disque est œuvre, se déplie, se déploie, il n’est pas succession de morceaux mais récit. Il a son prologue, par lequel Bacchantes nous fait entrer dans son royaume, il faut y pénétrer comme en un songe. « Dors tranquillement », invitent-elles, mais toute la complexité, l’épaisseur du disque est déjà là, son étrangeté qui justement nous tient en éveil. Laissons-nous porter mais « dressons-nous, dressons-nous ».
Bacchantes nomme le monde et sa façon d’y habiter, de le considérer. Ce regard est défini dans la belle énumération du deuxième morceau, la liste des oiseaux extraite du poème de Saint-Pol-Roux. Énoncer chaque nom, c’est accorder à chacun sa valeur, sa nécessité à être, il est alors difficile de ne pas entendre ici une vision de l’autre. Dire ce qui est et ce qui pourrait être, c’est déjà prendre sa place dans la cité. Un monde à soi.
Ne tuez donc pas les oiseaux ! Ne tirez pas sur eux ! Parce que les oiseaux sont les yeux partis du front des aveugles, dit ailleurs le poète. Ou comme Harper Lee explique le titre de son livre Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur parce qu’ Ils ne viennent pas picorer dans les jardins des gens, ils ne font pas leurs nids dans les séchoirs à maïs, ils ne font que chanter pour nous de tout leur cœur. Une raison suffisante, nécessaire, de se tenir dressé, en alerte.
Il y a leurs mots propres et ceux qu’elles ont empruntés et tous résonnent, Gérard de Nerval et Grisélidis Réal, disent à l’unisson, le fou et la prostituée, ce monde qui frappe par ses contrastes, dont il faut chercher le sens même dans les contradictions, dans la Cendre du ciel.
Chercher sans faiblir, parfois dans une urgence certaine, intranquille, à l’image de la cavalcade musicale de Vertigo, au texte programmatique de Gérard de Nerval : il s’agira de combattre le sort, de préparer la mort, de briser ses fers. Dressons-nous, dressons-nous encore. Une vie à soi.
Comme la musique sait être complexe et fluide, l’invite de Bacchantes est multiple, parce qu’il y a plusieurs façons d’être combattantes, parce que l’on peut aussi se tenir debout dans la joie, se (re)dresser pour danser.
On aurait pu le deviner dès la pochette du disque, dès l’œuvre d’Alexandra Pouzet qui figure comme une allégorie du tout. Une œuvre, comme le groupe, faite de chacune d’elles sans être disparate ou simple addition, qui ouvre le champ à l’infini des récits, des images, un squelette de femme, offert et délicat, un corps féminin entravé par la place qu’on lui assigne, mais qui, à bien y regarder, semble nous tirer la langue. Combattons le sort donc et laissons la nuit fendre le jour écrivent-elles dans le polymorphe morceau éponyme de l’album qui nous convie à une ronde silencieuse. Une composition grave, mystique, incantatoire qui nous emporte dans sa danse ou sa transe. Sombre et lumineux.
L’obscurité a quelque chose de grand, énonce Euripide dans Les Bacchantes, et souvent, Pas un bruit se pare de cette majesté des ténèbres. Bacchantes fait corps avec la nature, la célèbre et l’enveloppe et nous invite à la regarder. Parce que Bacchantes nous parle, donne étrangement l’impression de s’adresser à nous, nous laisse le croire, invoque et convoque, interpelle. Tour à tour, comme les quatre femmes nues de Giacometti, les voix sont lointaines et désirables ou proches et menaçantes. L’envoutement à soi de Bacchantes.
BACCHANTES
BACCHANTES
Il y a la mythologie : celle des livres, de la poussière et les histoires que l’on s’approprie. Bacchantes est un groupe de quatre femmes. Elles jouent du rock, avec leur propre instrumentarium, entre acoustique et électrique : guitare, batterie, claviers et harmonium indien. Elles savent que la versatilité de leurs expériences est leur socle de construction artistique. Un cri au monde.
Ces quinze dernières années elles ont arpenté des terrains variés : la noïse avec Fordamage, la pop plurielle chez Mermonte, le lyrisme radical au sein de Sieur & Dame, et enfin le folk baroque pour Faustine Seilman. Les constructions de leurs morceaux s’appuient sur des poésies anciennes, questionnant l’amour, la nature, la recherche de liberté. Elles agrègent ces déclamations de rock et d’un chant lyrique frondeur pour mieux rendre audible le propos dans notre époque cynique.
Derrière chaque instant sombre se profilent des éclaircies à venir. Tels des larsens triomphants, les horizons se dégagent. Bacchantes nous fait accepter que la douceur est projection fantasmagorique. Leur projet n’est pas un montage ecclésiastique d’adoubement des textes visités. Les musiciennes sont joueuses, osent mélanger le tribal à la mélodie, la fin du monde au renouveau, la mort à la renaissance. Des voix prenant corps comme protection contre les attaques de notre siècle, des chœurs qui en s’entrechoquant créent une transe atypique. Musique à la fois de sorcières et de sages, le rituel se veut surtout bienfaiteur. Bacchantes est une proposition hors du temps, dictant le tempo de nos émotions, elles nous embarquent dans une messe païenne. Fermez les manuels, les réponses se trouvent sur scène, lumières allumées et gobelets remplis.
Un voyage musical envoûtant
Un voyage musical envoûtant
FIP >>> Coup de cœur pour « Pas un Bruit » de Bacchantes. Le monde suspendu à lui-même.
MÉDIAPART >>> Bacchantes est un quator féminin qui forge une musique frondeuse et unique entre folk baroque et post-rock païen. Leur deuxième album, « Pas un bruit » continue d’alimenter leur propre mythologie qui puise son inspiration dans la poésie, la nature et ses éléments. Ces bacchantes n’ont pas vocation à suivre Dionysos, mais plutôt leurs propres voix.
ANTIPODE RENNES >>> Retour sur un entretien réalisé lors de la résidence artistique de Bacchantes à l'Antipode de Rennes en 2021. Entre répétitions et créations, le tout capturé par le photographe Gwendal le Flem.
MOWNO >>> Critique du dernier album "Pas un bruit" de Bacchantes.
COMMENTAIRES