Body

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Femmes à la dérive

Alors que Léonor Serraille présente son premier long métrage, Jeune femme, au Festival de Cannes 2017, sélectionné dans la compétition Un certain Regard, retrouvez son premier film, Body, un moyen métrage tourné à Brest en 2015, avec Nathalie Richard. Dans les deux films, elle met en scène le portrait d’une femme délaissée, qui se noie dans sa solitude. En exclusivité sur KuB.

BANDE-ANNONCE

BODY

un film de Léonor Serraille (2016)

Retrouvez ici la bande annonce de cette oeuvre (les droits de diffusion sur KuB sont arrivés à échéance).

Aide-soignante, Cathy vit seule. Trop seule. Quand sa sœur avec qui elle est brouillée l'appelle pour son anniversaire et lui propose d'aller à la mer, Cathy est grisée. Pourtant, progressivement la journée lui échappe.


PRIX ET SELECTIONS

Festival du cinéma de Brive, Rencontres Européennes du Moyen Métrage
Festival de cinéma de Douarnenez, Grand Cru Bretagne 2016
FilmFest Osnabrûck, section Focus on Europe

INTENTIONS

Trouver l'endroit où l'on souffre

Body

À l’origine de ce film, la rencontre entre Léonor Serraille, alors étudiante à la Fémis, et la tutrice de son scénario de fin d’étude : la comédienne Nathalie Richard.
Sa note d’intention est une excellente présentation et analyse du travail qu’elle a entrepris en réalisant son film.

Cathy traverse sa quarantaine seule. Pas de conjoint ou conjointe, pas d'enfant. Pas vraiment d'amis. Oh elle n'est pas à la rue. Elle a un appartement. Un travail - aide-soignante - qu'elle effectue consciencieusement.
En fait, c'est plutôt un grand vide qu'elle traverse. Une vie transparente. Sans débordement. Elle s'est habituée : au son de ses pas régulier rythmant ses journées, à ces visages familiers mais anonymes croisés dans les couloirs, à ses propres merci, pardon, à ses tant pis. Habituée à être Cathy, sans vraiment être là, laissant une vie solitaire et régulière l'engloutir comme une vague sans douleur, sans bruit.
Le film commence à l'aube d'un jour comme un autre, après une nuit de travail, par l’appel de sa sœur Agnès qui après une longue saison de brouille lui souhaite bon anniversaire et lui propose d'aller se baigner à la plage de leur enfance. Un rayon de soleil se profile dans le quotidien de Cathy - un courant d'air. Mais alors que les heures passent et la rendent plus gaie que d'ordinaire, rien ne se déroule comme prévu - sa sœur lui échappe. Et peu à peu, tout lui échappe : personne pour stopper l'écoulement des heures. Personne à qui s'agripper. La vague de cette journée est la vague de trop - elle boit la tasse, commet l'impensable, l'interdit : elle vole un enfant.


La difficulté est de trouver l'endroit où l'on souffre écrit Michaux dans Lointain intérieur. L'ambition du projet a été de filmer au plus près cette femme et ce qui l'amène à un tel geste. Scruter l'enchevêtrement de causes menant à l'acte plutôt que juger l'acte lui-même ou ses conséquences. Voir plus loin que le statut de fait divers, en envisageant le fait divers comme un moment-clé de la vie d'une femme. Un révélateur. Un détonateur. La cavale de Cathy ne va pas bien loin - mais cet acte la réveille à la vie. Il fallait qu'elle passe de l'autre côté. À l'origine du projet, il y a en effet la découverte de faits divers liés à des "vols" de bébé en maternité, perpétrés par des femmes majoritairement en manque d'affection, en impossibilité de communiquer. Je travaille des questions d'identité, de féminité dans beaucoup de projets. Pour Body j'ai eu comme désir de faire le portrait d'une femme à la dérive qu'il conviendrait de filmer au plus près de son souffle, de son regard : un bloc solitaire précipité jusqu'à une chute, et l'esquisse possible d'une renaissance. Désir de filmer un visage, un corps, plutôt qu'une voix (une voix silencieuse, ou qui n'existe plus, qui devrait se faire entendre, qui devrait crier !). Désir de creuser le paradoxe et l’humanité du personnage malgré la violence d'un geste.
J'ai exploré dans ce scénario les espaces de contrastes offerts par le personnage lui-même et par ce qui m'intéresse cinématographiquement : un mélange de mutisme sec et de tendresse, une tension ou plutôt une retenue confrontée à un besoin vital de relâchement, une déambulation bien réelle mais aveugle, comme femme. Un besoin désespéré de contact, d'humanité, basculant dans un geste interdit. Cathy ne trouve pas d'issue dans le langage à la situation qu'elle traverse, car pour formuler, encore faut-il savoir quoi dire et nommer. Son contact avec les autres, c'est son corps qui l'exprime : les patients à qui elle prodigue des soins, M. Imbert dont elle aimerait qu'il pose ses mains sur elle, le chien qu'elle caresse, sa sœur à qui elle masse les pieds...
Cet espace-là de son rapport au monde me semble particulièrement intéressant à filmer, car très révélateur du trouble sous-marin. Il y a en elle - et en règle générale chez les personnes qui commettent cet acte - une infinie douceur, une grande naïveté. Mais quand quelque chose se dérègle, peut naître la plus intense pulsion, quelque chose d'animal, d'absurde, d'à la fois fou et maîtrisé, de prévisible et d'imprévisible. Observer de près, le temps d'une journée, une femme se déréglant jusqu'à en arriver là est une entreprise passionnante, pleine de paradoxes et d'énergies contraires. J'y vois une matière visuelle intense à y puiser, car en se réglant sur Cathy, le film cherchera d'autres moyens que les mots pour faire tourner les aiguilles et les heures. L’évolution progressive du visage et du corps de Cathy me semble un meilleur métronome.
La dislocation entre son corps énergique dévoué aux autres, et son corps absent à lui même - frustré, inassouvi, endormi -, crée un déséquilibre qui la grignote et lui fait perdre le contrôle. La scène où surgit la soudaine tentative de contact avec M. Imbert dénude ce besoin de sexualité - Cathy est comme assaillie par elle-même. Lorsque toutes ses tentatives de contact avec les autres échouent au fil de la journée, lorsqu'un à un tous ces corps lui échappent, elle prend ce qu'elle peut prendre. Le corps de ce petit bébé. Presque à portée de main. Mes recherches sur ces faits divers m'ont appris que loin d'être une kleptomanie ordinaire, ces passages à l'acte ont pourtant comme point commun de procurer un grand soulagement. Certains médecins y voient un substitut de vie sexuelle. La prise de risque est proportionnelle au plaisir, et s'en suit une grande culpabilité. Dans le cas des femmes qui se retrouvent à voler un nourrisson, la plupart du temps elles le ramènent très vite et ne lui font aucun mal, même si parfois la cavale dure plus longtemps que celle de Cathy et se passe moins sereinement. Cathy ne fait aucun mal au bébé. Lorsqu'elle se retrouve enfin les pieds dans l'eau et l'enfant dans les bras, elle pleure - mais c'est comme un soulagement. Un recouvrement de la vue, un apaisement.
L’idée de travailler les relations familiales - ici l'entre-sœurs - m'a toujours beaucoup "préoccupée". Les conséquences de relations avortées ou tout simplement mauvaises, mal entretenues pouvant être dramatiques. Après tout, Cathy n'a rien demandé à sa sœur qui vient la chercher et lui propose d’aller passer la journée dans cet endroit lié à leurs souvenirs heureux. Quand le plan change, si pour Agnès c'est un détail de sa vie, pour Cathy cela devient la brèche dans laquelle tout s'engouffre. C'est bien le problème, au fond, Agnès n'a rien fait de "mal" - elle aussi a sa vie, ses problèmes, son drame du moment. Tout est fait pour les réunir et pourtant elles vivent les retrouvailles de façon très différente. N'est ce pas le drame ironique et silencieux des familles dans lesquelles on s'habitue à parler sans vraiment communiquer et encore moins se connaître ?
Loin d'être une comédie, ce projet n'a néanmoins pas l'objectif de plomber le spectateur. Au contraire, l'objectif est que l'on ressente cette journée particulière tout en vivant à ses côtés le besoin d’une libération finale. En interrogeant la "normalité" ou "anormalité" de Cathy on questionne la banalité du mal-être. Est-elle malade ? Souffre-t-elle d’une névrose - d'une psychose ? Ou n’est-elle pas simplement tout à fait normale mais poussée dans les derniers retranchements d'une solitude ? J'ai préféré aborder ce qui nous rapproche de Cathy, et donc ce qui nous rapproche du fait divers (qu'on croit réservé aux autres) que ce qui nous en éloigne. Tout l'enjeu repose sur la projection progressive qui peut s'instaurer entre elle et le spectateur. En ce sens, j'y vois une matière, un sujet nécessaire, ancré au creux d'un long processus d'écriture de portraits féminins que je développe depuis plusieurs années. Les problématiques entre la femme et l'enfant me tiennent très à cœur.
Je me suis également nourrie de l'expérience de ma sœur aide-soignante en hôpital. Filmer le travail m'intrigue, car on y révèle beaucoup de nous-mêmes. Le début du film nous plonge dans le soin que Cathy apporte aux patients qu'elle côtoie et qui l'apprécient beaucoup, mais ses gestes sont à la frontière du professionnel et portent l'ombre très légère d'un futur problème : elle fait tout ça trop bien, il y a quelque chose d'étrange. Le film est peu à peu contaminé par un malaise qui s'installe peu à peu, cherchant à rendre compte de la texture des choses qui colorent la journée de Cathy, aussi banales et anodines soient-elles. Chez elle, dans les couloirs ou même au supermarché, l'idée est de faire naître du trivial, par petites touches, des détails : le sens des objets, leur place dans les lieux, le fait qu'avec la nouvelle des retrouvailles avec sa sœur, Cathy regarde peu à peu les choses - elle-même - avec plus de lumière, jusqu'à l'écroulement. Chaque séquence agira sur Cathy comme une succession de poupées russes se refermant sur elle.
La caméra sera la plupart du temps portée pour accompagner Cathy, sentir vibrer de très près sa vibration - tout en cherchant par moments à l'isoler par des cadres plus larges. Peu à peu la longue focale, qui tend à écraser, à gauchir les perspectives et surtout à isoler le corps et le visage en dehors de toute profondeur de champ, prendra le dessus. L'effet d'hyper-réalisme lié à cette espèce de "vision rapprochée" permettant de faire vaciller le point de vue tentera de faire corps avec le point de vue du spectateur, de plus en plus déstabilisé par le personnage. D'autre part, il me semble important de perdre par instants Cathy (lorsqu'elle va ouvrir au gardien pour le colis, ou encore chez Agnès) de la laisser hors-champ, qu'elle crée des sortes de "trous d'air". La soustraire au film, qu'elle nous échappe, qu'elle nous manque par instants, et qu'on la guette de la même façon qu'elle guette les autres. Un cheminement à son image, chaotique, cut, tout en ruptures de rythme et de tonalités : un bloc se désagrégeant pour reformer une toute autre figure à la fin.
La mise en scène et le traitement de l'image glisseront dans un certain suspens ou plutôt, une rétention, un climat de mystère mais tout à fait ancré dans un décor urbain et familier, celui du n'importe où. Le soleil chaud d'une grosse ville chaotique en fin d'été face au calme miraculeux d'un rivage serein et abandonné, le temps suspendu, qui n'est plus, le temps d'une vie nouvelle qu'il serait temps que Cathy dessine. J'opterai pour une fausse discrétion chromatique, privilégiant les tâches vives mais rares, sur une mer de notes éteintes, plutôt sombres, en cherchant à définir Cathy comme un petit cœur bouillonnant, un petit feu, un atome perdu dérivant dans une atmosphère inhospitalière, mate, opaque.
Enfin, la présence de Brigitte Bardot résonne comme une ironie : c'est le jour de l'anniversaire d'une idole, mais c'est aussi celui d'une femme seule.

Festival du cinéma de Brive,
rencontre avec la réalisatrice Léonor Serraille à propos de Body

BIOGRAPHIE

LÉONOR SERRAILLE

Léonor Serraille

Léonor Serraille est une scénariste et réalisatrice française. Titulaire d'un Master de littérature générale et comparée obtenue à la Sorbonne Nouvelle, elle est également diplômée du département scénario de l'École nationale supérieure des métiers de l'image et du son, la FEMIS.
Son premier court métrage Body a été tourné à Brest en 2015 puis sélectionné dans plusieurs festivals, dont le Festival du Film Indépendant d'Osnabrück 2016 en Allemagne.
La jeune réalisatrice enchaîne ensuite avec son premier long métrage Jeune Femme sélectionné pour concourir dans la catégorie Un Certain Regard à l'occasion du Festival de Cannes 2017. Mettant en scène des acteurs tels que Laetitia Dosch, Grégoire Monsaingeon, Souleymane Seye Ndiaye et Nathalie Richard, celui-ci relate l'histoire d'une femme au cœur brisé nommée Paula, perdue dans la vie parisienne.

REVUE DE PRESSE

Caméra d'or à Cannes 2017 !

Avec Jeune femme, la réalisatrice connaît la consécration à 31 ans.

Télérama mai 2017 >>> Paula, libre dans sa tête Avec Paula, les galères s’effacent aussi vite qu'elles s'accumulent. Toujours à deux doigts de flancher et de faire flancher les autres, elle avance. La réalisatrice Léonor Serraille livre un regard fantaisiste sur la liberté conquise d'une jeune fille d'aujourd'hui.

Cheek Magazine mai 2017 >>> Entretien avec une réalisatrice prometteuse Léonor Serraille débute sa carrière en dressant le portrait d’une femme, Paula, jeune trentenaire en perte de repères et en permanence au bord de la crise de nerf. Après une séparation, Paula doit à tout prix se réinventer. Laetitia Dosch se transforme de plan en plan comme un caméléon et réussit à passer d’image à sujet.

Libération mai 2017 >>> En 1H37, Jeune Femme, avec Laetitia Dosch et Grégoire Monsaingeon, suit cette trentenaire de retour de l’étranger, sa relation chaotique avec les hommes, ses tentatives de trouver du travail, du baby-sitting chez une famille bourgeoise ou un petit boulot de vendeuse dans un «bar à culottes» d’une galerie commerciale, ses étonnements face au fonctionnement de ses congénères parisiens...


COMMENTAIRES

    CRÉDITS

    scénario et réalisation Léonor Serraille
    image Emilie Noblet
    son Anne Dupouy
    montage Clémence Carré
    scripte Maryline Brulé
    costumière Carole Pochard
    mixage Niels Barretta
    étalonnage Vincent Amor

    avec
    Nathalie Richard Cathy
    Ludmilla Dabo La collègue des vestiaires
    Dominique Dièterlé La patiente
    Claire Cathy Agnès
    Emmanuel Robin L’amant d’Agnès
    Jean-René Lemoine Jérôme
    Sterenn Guirrec Laurence
    Michel Huellou Monsieur Imbert
    Arnaud de Cazes Le sage-Homme
    Gabriel Le Coz Le bébé
    Rémy Talec Radio Mutine
    Mélissa Petit La Soprano Charlotte Vidal-Bustamante

    producteurs délégués Charles Philippe, Mathieu Bompoint, Lucile Ric
    production Mezzanine Films, Les films du clan
    avec la participation du CNC
    avec le soutien de la Région Bretagne

    Artistes cités sur cette page

    Léonor Serraille

    Léonor Serraille

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