Crazy The Night U Own

par Erwan Larzul & Mick Strauss (2025 - 4’)

par Erwan Larzul

Le dialogue énigmatique de Crazy the Night U Own, bribes d’une histoire de vie ramassée, fonctionne à la fois comme un collage surréaliste et une mélopée romantique, et porte en lui un germe cinématographique (Like love in rain in a car). Son clip en restitue la dimension sensuelle, intimiste dans les couplets, et plus explosive, festive dans les refrains — de manière suffisamment nuancée pour qu’on n’arrive bientôt plus à démêler les deux : joie, jeu et jouir ont la même étymologie.
Une grande liberté d’improvisation a été laissée aux trois artistes, afin que l’intime et l’instinctif puissent s’exprimer dans leurs poses, leurs gestes et leurs danses. S’agissant de restituer des émotions, le clip est plus descriptif que narratif. Les paroles ne sont pas articulées. Le cadre, comme symbolique et atemporel, passe d’un clair-obscur Renaissance à un décor de cinéma éclairagé avec au fond un rideau rouge, et la présence-absence des personnages dans ces lieux, leurs yeux parfois clos suscitent un doute chez le spectateur entre ce qui est réel et ce qui ne l’est pas, entre ce qui est passé et ce qui est rêvé : la frontière est parfois ténue entre la chaleur du désir et celle du souvenir vécu, un trouble qui source lui aussi dans une étymologie commune, celle des fantômes et du fantasme. La caméra, portée, figure un quatrième personnage, témoin de ces visions et comme attiré par ce qu’il voit. Nous utilisons un Canon 5D mark II, avec un objectif 35 mm et une ouverture à 2 pour une faible profondeur de champ et les scènes en basse luminosité. Le rendu de cette configuration, à 800, 1000 iso, offre par ailleurs un rendu intéressant et contrasté dans la pénombre. Portée, sa subjectivité se manifestera par un léger bougé lors des plans immobiles et, lors des plans animés, elle pourra se rapprocher au plus près des personnages ou les suivre dans leurs déplacements, dans leur folie.

par Erwan Larzul

La caméra se promène dans un hôtel vide, de nuit. Dans le hall d’entrée est suspendu un lustre monumental. De manière générale, le cadre, kitsch et chargé, suggère un décor cinématographique atemporel. (Le fait que cela soit tourné en Allemagne ajoute au sentiment d’étrangeté.) La caméra entre dans une pièce aux dominantes de vert, faiblement éclairée par un faisceau de lumière venant de l’extérieur (on devine une rue). On parcourt les murs ornés de tableaux brodés (des reproductions de peintures), les objets disposés çà et là, un abat-jour, et l’on remarque, près d’un long canapé vert, sur une table basse, trois verres à pied vides qui suggèrent une présence, fantomatique ou passée.

Les musiciens (Mick, Jenn, Maeva) apparaissent ensuite l'un.e après l'autre sous forme d’une succession de tableaux entre clair-obscur, chacun.e posant assis.e dans le canapé vert, baigné par le filet de lumière venu du dehors. De légers mouvements (un clignement d’œil, bougé de caméra…) montrent qu’il ne s’agit pas d’images fixes. Lorsque la musique monte, les personnages s’animent, et la dimension onirique en rapport avec la chanson qui évoque un souvenir sensuel, est renforcée par une impression de ralenti dans leurs gestes.

Juste avant qu’explose le refrain, un panoramique balaie leurs trois visages, yeux fermés, en plan moyen. On bascule alors dans une autre temporalité, une autre pièce plus éclairée, aux dominantes rouges, occupée par un grand nombre de canapés. Les personnages rient, se déguisent, dansent, se prélassent, font une bataille de coussins, séduisent la caméra qui virevolte de l’un.e à l’autre. La tonalité sensuelle est conservée mais associée cette fois à un moment joyeux, un peu fou. Puis la caméra suit Jenn qui sort par une porte au fond de la salle et disparaît dans l’obscurité. Nous revenons dans le salon vert, avec les trois personnages qui dansent, le montage est alors plus dynamique, la sensualité plus marquée. S’intercalent des images du salon rouge, des tableaux posés, des personnages associés à des passages dansés devant le rideau rouge. Cette alternance se poursuit jusqu’au bout avec un effet de crescendo, tant dans le rythme que dans l’intensité suggestive. Sur les dernières images, une chanteuse ondule devant le rideau, telle une Marlene Dietrich moderne (chapeau haut-de-forme blanc crème et short de boxeuse noir).

Arthur B. Gillette alias Mick Strauss, né en 1976, est chanteur, musicien, producteur, auteur compositeur, et traducteur.
Né en France de parents natifs des États-Unis, il vit en Bretagne, dans la région de Douarnenez.
Cofondateur, coauteur, guitariste et clavier du groupe Moriarty, producteur et bassiste du collectif Astéréotypie, il collabore également avec de. nombreux artistes, comme Christine Salem et le maître de N’Goni malien, Moriba Koïta. Il compose pour le cinéma documentaire et de fiction. Il écrit et produit pour la radio et le théâtre.
En parallèle, il traduit de la poésie américaine.

Né en Bretagne en 1973, Erwan Larzul est initié jeune à la photographie par un père amateur, et patouille, adolescent, dans son petit labo photo. Étudiant en lettres, à Brest, il écrit dans un fanzine, quelques textes de chansons. Pendant son service militaire chez les fusiliers marins, il découvre l'océan Indien. Professeur de français, il est d'abord affecté en Guyane, puis à Mayotte, où tout commence à s'imbriquer sérieusement. Il y habite le lieu-dit Musicale plage, dans une petite anse du sud de l'île. À peu près inapte aux instruments, il enregistre, photographie, filme les sessions improvisées qui s'y tiennent. Installé à Madagascar par la suite, il développe une activité de production musicale et de réalisation audiovisuelle puis participe au collectage d'un matériau vidéo, audio et photo des artistes, dits traditionnels, dans la moitié sud l'île.

Basé depuis 2014 à Douarnenez, il y creuse amoureusement le même sillon - entre image et musique - à travers la photo, la vidéo et l'écrit.

Il entame en 2024 une collaboration avec Mick Strauss qui aboutit à la réalisation de trois clips en moins de 5 mois : Our Island, Bad River et Crazy The Night U Own.